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mes. Hélas ! mes investigations n’avancent pas, ce qui exaspère ma curiosité.

Pourtant elle paraît se plaire auprès de moi. Sa sauvagerie s’atténue. Elle me confie un peu de ses rêves et de ses pensées, des rêves compliqués d’âme maladive, des pensées simples d’esprit réfléchi. Mais dès que mon interrogation devient plus directe, je me heurte à un silence obstiné.

Ainsi, tantôt, je lui dis brutalement :

— Il y a longtemps que vous avez perdu votre père ?

Elle répliqua :

— J’avais six ans.

— C’est cela, n’est-ce pas, qui cause votre mélancolie ?

Elle se tut.

Oh ! je finirai bien par la mater, l’enfant rebelle !


… Rien ne me décourage, ni son mutisme, ni mes défaites successives. Je veux savoir, je saurai.

Je l’avoue, le but est difficile. Je n’ai jusqu’ici à enregistrer qu’une défaillance de sa part.

Je simulais la froideur, afin de provoquer ses reproches, et, quand elle se fut plainte, je m’écriai :

— Que voulez-vous ! je vous sens aussi loin de moi qu’au premier soir, cela ne sert donc à rien la sympathie que je vous montre ? J’aurais tant désiré partager le secret qui vous pèse !

Elle balbutia, haletante :

— Moi, un secret !

— Oui, affirmai-je, et douloureux, et trop lourd pour vous seule.

Ses larmes jaillirent tout d’un coup, sans qu’elle tentât de les retenir, et elle murmurait :

— Je vous en prie, je vous en prie….

Depuis, son âme m’est encore plus