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ser avec Fernande. Elle me comprend, ses yeux me l’affirment. Elle se rappelle.


… Absurde ? Pourquoi ? En tous cas cette pensée m’obsède. Une conviction croissante m’envahit. Cela me paraît implacablement logique. Il flotte par le monde, n’est-ce pas, une somme fixe de vie. Qu’y a-t-il d’impossible à ce qu’une parcelle de cette vie, la même, ait passé de l’une à l’autre ? Tant d’indices me le prouvent… la couleur noire des cheveux… et puis cet acharnement à me suivre… et surtout ce regard ! ce regard !

… C’est elle ! vérité indéniable, c’est elle ! Jusqu’ici — je viens de m’en aviser — je n’osais pas — pourquoi ? — je n’osais pas la toucher. Il le fallait cependant. Mes doigts se sont enfoncés dans la toison douce et longue, et j’ai cru manier la chevelure de Fernande, sa chevelure souple, soyeuse, onduleuse. C’est invraisemblable, surnaturel. Néanmoins, cela est. D’ailleurs elle m’aimait tant !


… Quel calme ! Nous sommes bien heureux, tous deux, Fernande et moi. Nous nous promenons. Nous conversons. Nous rêvons ensemble. Jamais de désaccord. Je ne me souviens pas plus des mauvais jours que d’un vilain cauchemar. Il ne faut jamais se plaindre de ses souffrances. On n’en goûte que mieux les joies qui leur succèdent. Et mes joies à moi sont inexprimables.


… Elle s’est couchée sur mes genoux, elle a posé sa tête contre mon épaule et elle s’est endormie, confiante. Je ne bougeais pas. Au réveil, elle m’a souri. Alors je l’ai caressée lentement. Sous ma main, son corps tremblait. Ô ma chère, ma très chère Fernande….