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Vers vingt-huit ans, elle eut l’espoir d’une atténuation à son martyre. On la demanda en mariage. C’était un riche cultivateur des environs, probe et laborieux. Elle l’aima, la vision d’une existence en plein air, dans une ferme, loin des mauvais souvenirs, la ravit comme une promesse de bonheur. Elle accepta, toute joyeuse.

Mais, insensiblement, le passé surgit de l’ombre où elle tâchait de l’enfouir. Des scrupules la rongèrent. Avait-elle le droit de tromper l’homme loyal qui croyait en elle ? La question posée, elle la résolut vite ; elle devait la confession de sa faute. Elle la fit :

— … Un moment d’égarement… mon ami… de folie même… est-ce que je sais ?… la tête m’a tourné… il s’empara de ma taille…et…et je fus sa maîtresse !

Elle ne revit plus son fiancé.

Pendant quelques mois, elle lutta contre la tentation irrésistible qui montait en elle. Ses efforts ne la sauvèrent point. La continuité de sa douleur usait son courage. Elle était lasse de penser éternellement la même pensée. Son cerveau lui faisait mal, comme torturé par le retour incessant de la même image qui s’imprimait sur lui, à toute minute, avec une netteté toujours plus grande.

Un événement précipita sa décision : Antoine revint. Elle l’aperçut, lui, son amant !

Elle sentit que sa raison lui échappait. Ardemment elle désira mourir. Prise d’une sorte de démence, elle s’enfuit sur la route de Fécamp.

La distance est longue. Le vent soufflait. Les arbres, fouettés, tournaient le dos, comme des femmes dont les jupes se collent aux jambes. Elle marcha, courut plutôt, des heures, des heures, les yeux hagards, sans fatigue. Elle traversa la campagne. Elle atteignit la ville. La mer mugissait. Armande sourit