Page:Leblanc - Ceux qui souffrent, recueil de nouvelles reconstitué par les journaux de 1892 à 1894.pdf/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si malheureux.

Très lasse, engourdie par le champagne, elle le laissait parler. Il s’approcha. Elle n’aurait pu le repousser, incapable d’un effort, quoique sa conscience se révoltât.

il lui saisit la taille. Elle ne bougea point. Ses lèvres se dirigèrent vers les siennes, et il murmurait :

— Vous êtes ma reine, ma reine…

Il l’embrassa. Au même moment, madame Canu appelait sa fille d’un ton courroucé :

— Eh bien, Armande, qu’est-ce que tu fais ? Viens-tu ?

Elle obéit.

Le lendemain, à son réveil, mademoiselle Canu se sentit une autre femme. Entre ce jour et le précédent, un fait s’était passé dont elle ne pouvait comprendre encore toute l’importance, mais qu’elle devinait monstrueux, irréparable. Elle n’osait y songer, tremblante devant la vérité entrevue. Une suite de méditations et de découvertes la renseignèrent malgré elle.

D’abord, sa mère la questionna sévèrement :

— Qu’avez-vous fait, M. Antoine et toi ? Qu’avez-vous dit ? S’est-il bien tenu, au moins ?

Cet interrogatoire lui suggéra cette réflexion : il est donc dangereux de rester seule avec un jeune homme, et ce jeune homme peut tenter des choses dont une mère s’inquiète ?

Jamais elle ne lisait. Jamais on n’échangeait devant elle de propos équivoques. Sans cesse flanquée de son père ou de la mère, elle savait de la vie ce que