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Herledent fut vexé. De nouvelles tentatives restèrent infructueuses. Cela le courrouça.

Enfin un matin, s’étant caché parmi de hautes herbes, il le saisit et voulut, de force, lui enfoncer le bec dans la pâtée. La bête se rebiffa. Il y eut bataille. Et l’homme, aveugle de rage, étrangla son adversaire et le jeta par-dessus la haie.

Un procès s’ensuivit. Le propriétaire du coq, un nommé Coignard, grand gars d’humeur sombre et de méchante réputation, réclamait des dommages et intérêts. Herledent nia le meurtre.

Coignard perdit sa cause. Mais le soir des débats, il pénétra chez son rival, lui mit le poing sous le nez et lui dit :

— T’as tué mon coq, tu me l’paieras, canaille.

Et désormais, quand il le voyait, d’un jardin à l’autre, il l’injuriait avec des gestes de menace.

À dater de cette époque, la vie de François Herledent se transforma.

Jusqu’ici il faisait partie intégrante de la nature, il était dissous dans l’atmosphère qui le baignait, dans les objets qui l’entouraient. Il s’en dégagea. Insensiblement, heure par heure, se formait sa Personnalité, ce quelque chose que le monde lui avait refusé et dont lui-même avait douté. Il naissait à l’existence, vérité incontestable, puis que, pour la première fois, un être se souciait de ses actions.

Maître enfin de son individualité, et ne la possédant que par l’acceptation d’un autre, il n’eut plus qu’un but : la développer en l’imposant davantage à cet autre.

Il ne quittait plus son verger. Il y entreprit d’innombrables travaux. Il gaula les pommes, il redressa les arbres. Coignard ne pouvait sortir sans l’aviser. Aussitôt le vieux François se dandinait en des poses insolentes. Un sourire narquois plissait ses lèvres. Il sifflotait.

Cela ne lui suffit pas. Il voulait plus