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fonds et qu’il vint s’établir à Yainville. Dans ce cadre modeste, indubitablement il resplendirait.

Tout de suite il affirma sa fortune. Des ustensiles de luxe, débris apportés de sa boutique, illustrèrent sa maison, notamment une boule de verre dans le jardin, une serrure de cuivre à la porte, un timbre sonore, une batterie de cuisine compliquée.

Puis il partit en campagne. Il honora de ses visites le maire, le curé, les notables. La tournée finie, il attendit. Des semaines passèrent. Personne ne lui rendit sa politesse.

Les élections municipales approchaient. Hardiment il se présenta, fit de nouvelles visites, offrit des cafés au cabaret, affecta des allures bon garçon avec les femmes, et condescendit à jouer avec les enfants.

Il n’obtint pas une voix. Ce fut un désastre. Il tomba malade.

À peine convalescent, il entama la conquête de la Vasette. C’était sa dernière ressource. Le hameau borde la Seine, acculé contre les falaises. Un dimanche, Herledent tira sur l’eau un feu d’artifice. Des paysans accoururent, admirèrent les fusées, mais ne le remercièrent point.

Il abandonna la lutte. Décidément il n’était rien, et ne pouvait rien être. Quand il parlait, il devinait que son interlocuteur répondait machinalement et n’emporterait nul souvenir de leur conversation, nul souvenir même d’un arrêt dans sa promenade. Il n’intéressait pas, bien plus il n’ennuyait pas.

À cette époque il eut nettement conscience qu’il lui manquait quelque chose,