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LE HAÏ



Pour manger ses petites rentes, François Herledent choisit la commune de Yainville, parce qu’elle est « peu conséquente ». Et de préférence aux habitations mêmes de cette commune, il choisit une maisonnette lointaine, à cause de sa situation parmi quatre ou cinq misérables masures, avec lesquelles elle constitue le hameau de la Vasette.

À son désir « d’être enfin quelque chose », il offrait ainsi deux chances de réalisation, d’abord à Yainville, puis, en cas d’échec, à la Vasette, sur une scène plus restreinte.

Toute sa vie, François Herdelent avait subi l’amère souffrance de passer inaperçu. Entre lui et le bonheur, cet obstacle s’élevait, infranchissable.

À l’école, ses camarades le délaissaient. Il restait en dehors de leurs jeux, de leurs complots, de leurs rires. En classe, ses maîtres ne s’occupaient pas de lui. À la maison, ses parents l’oubliaient.

Au sortir de pension, on l’envoya comme apprenti chez un quincaillier. Il n’y fit rien. Le patron ne s’apercevait pas de sa présence.

Son père et sa mère moururent. On négligea de le mander à leur lit de mort. Il comptait si peu !

À l’aide des quelques sous hérités, il acquit un fonds de quincaillerie. Mais son commis accapara toute l’autorité. Les clients ne s’adressaient qu’au subalterne. Le maître s’effaçait.

Il se maria, fut trompé, ce qui — chose triste — n’accrut pas son importance. Sa femme n’eut point pour lui plus d’égards, et les amants, loin de le cajoler, s’installaient, commandaient, buvaient