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de la découvrir, de connaître le coin d’âme où elle se tenait et les aliments dont elle se nourrissait. Il l’aimait sous toutes ses formes : mélancolique, subtile ou sauvage, avec tous ses parfums et avec toutes ses nuances diverses.

Chez certains, elle s’épanouit, envahissante et dévoratrice. Ceux-là, il les dominait rapidement. Chez d’autres, elle se cache, elle attend, elle guette. Auprès de ces derniers, peut-être trouvait-il des plaisirs plus raffinés. Car la plante indécise, il la faisait germer, il la leur montrait pour qu’ils n’en ignorassent pas l’existence, il la cultivait par des mots irritants, la soignait comme une chose précieuse, la développait jusqu’à ce qu’elle étouffât toute trace de bonheur.

L’expérience lui vint. En un instant, malgré l’hypocrisie des hommes, il devinait leur secret. Il eut vraiment un sixième sens : celui de la douleur d’autrui.

Il s’en alla d’être en être. Les peines des hommes sont aussi nombreuses et différentes que les fleurs de la terre, et il s’en grisait comme les abeilles se grisent du suc des calices. Quel choc délicieux quand se révélait une angoisse nouvelle ! Il la goûtait longuement, il la choyait avec la tendresse d’un collectionneur pour la pièce rare qu’il a découverte. Et, devant la victime, aux gestes las et à la voix brisée, qui pleurait son chagrin, il sentait à chaque aveu son cœur se gonfler d’un monstrueux plaisir.