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très douce. Ainsi, en son esprit plus calme s’ébauchèrent d’avantageuses comparaisons. Du moins, il gardait l’intégrité de son corps. Et, pour mieux savourer cet inappréciable bien, auprès des aveugles il se baignait les yeux dans la clarté du soleil et dans l’éclat des fleurs, auprès des sourds il s’ingéniait à percevoir les menus bruits du lointain et les harmonies du silence.

Le mal physique est monotone. Il s’en fût lassé. Une source de satisfactions, inépuisables celles-là, devait jaillir de cette réponse qu’un pauvre lui fit :

— Ma faim ? mon ventre vide ? Vous croyez que j’y pense ? Non ; ce qui me tord le cœur, c’est l’enfant… l’enfant qui ne mange pas.

Il tressaillit. Pour la première fois, il se heurtait à une souffrance morale, une souffrance de même nature que la sienne. Une volupté si âcre l’inonda qu’il comprit enfin à quel subterfuge il demandait l’oubli progressif de ses souvenirs. Conscient, il poursuivit son but avec plus de vigueur.

La solitude était un obstacle. Il fréquenta des gens. Il s’insinua dans leur intimité. Doucement ou brutalement, par l’empire qu’il acquérait sur eux ou par la confiance qu’il leur inspirait en racontant ses propres chagrins, il les amenait aux expansions irréparables. Et il déchiffrait l’énigme de nos âmes compliquées.

En toutes fleurit la douleur comme une plante nécessaire. Cette plante, il la cherchait obstinément. C’était sa joie