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me retrouver.

Le domestique obéit, puis rejoignit son maître, qui prononça d’une voix lente, en articulant posément chaque syllabe :

— Je te confie Estelle pendant quelque temps. Je ne te recommande qu’une chose, qu’elle ne voie personne, qu’elle ne sorte jamais d’ici. Le jardin est assez grand pour qu’elle y joue à son aise. C’est entendu, n’est-ce pas, je ne veux pas qu’elle sorte d’ici.

Le bonhomme, un vieux, ridé, courbé, qui continuait à vivre par habitude, s’inclina et se retira.

Resté seul, M. Gavart fit un bout de toilette, puis passa dans la chambre voisine. Elle était en tous points semblable à celle qu’il occupait, les deux pièces auparavant n’en formant qu’une. Depuis la veille une cloison en planches les séparait.

Il surprit Estelle à moitié déshabillée et vidant sa malle.

— Ne t’interromps pas, s’écria-t-il, comme elle cherchait à se vêtir, je venais voir seulement si tu ne manquais de rien.

Elle rangeait soigneusement le trousseau qu’elle devait à son bienfaiteur, empilait le linge dans la commode et accrochait les robes dans les armoires.

Il remarqua la maigreur extrême de ses bras et de son cou. Les os saillaient, prêts à crever la peau.

— Approche-toi, gamine, lui dit-il.

Elle s’avança et il l’assit sur ses genoux.

— Tu l’aimes bien, n’est-ce pas, ton vieil ami ? Embrasse-le donc… à la