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capable de vouloir et d’agir. Vaguement, en sa mémoire, il se voyait soulevé par les bras gigantesques, bercé parmi les feuillages moelleux, endormi contre la poitrine robuste, et soudain, d’un geste brutal, projeté à terre. Et il pressentait que l’arbre avait dû se pencher sur lui et rire méchamment en sa barbe de branches.

Sitôt remis de l’accident, Loisel se vengeait. Pour aller à l’école, il faisait un détour afin de rencontrer son ennemi. Un chemin creux y conduisait. En route, le gamin choisissait des silex pointus et coupants.

Énorme et solitaire, le chêne dominait un pli de terrain. À son ombre se cachait la Mare-au-Leu, dans une enceinte de noisetiers et de ronces. La moire de l’eau miroitait entre les feuilles paresseuses des nénuphars et les touffes frissonnantes des roseaux. Et vers le pied de l’arbre une pente de mousse remontait, déployée sur les racines inégales comme une étoffe chatoyante de vert sombre et d’or éteint.

Alors Loisel visait, et le projectile pénétrait en pleine écorce. Certes, la douleur n’était pas intolérable. Mais cela devait agacer le géant comme une série quotidienne de petites égratignures. Et les cailloux sifflaient aussi jusqu’au sommet, atteignaient les branches suprê-