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MA VIE



La voici, ma vie, de vingt ans à cinquante, les trente années qui, seules, valent la peine qu’on vive. Avant, on est trop jeune — après, trop vieux. Ne faisons donc point fausse route en cette période : toute erreur est irréparable.

Au sortir du collège, je commençai mes études de droit à Paris. L’expérience m’a prouvé, depuis, que j’étais à ce moment, que j’étais il y a quelques jours encore, romanesque, maladivement romanesque. La lecture de certains livres, si dangereux pour les imaginations neuves ; et le hasard de mes amitiés d’adolescent, m’avaient muni d’une sentimentalité ridicule. Je rêvais d’aventures. Je brûlais de me sacrifier, de m’anéantir pour une femme. L’âge et quelques expériences m’eussent guéri sans doute. Mais il m’arriva la pire des choses, je tombai amoureux d’une jeune fille.

Durant dix-huit mois, les parents d’Adrienne me traitèrent comme un enfant dont on ne se méfie pas. L’été, au bord de la mer, je m’asseyais à ses pieds, ou, dans les promenades, nous nous hâtions pour causer librement. L’hiver, à Paris, j’allais chez eux sans crainte d’être importun.

Tous mes souvenirs me représentent cette époque sous la forme de tableaux poétiques, d’une poésie conventionnelle que nous recherchions avec enthousiasme. Les couchers de soleil, les étoiles,