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Thérèse, silencieuse, écoutait.

Madame Delnard s’exaspéra. Elle souffrait réellement. Elle souffrait de toute sa vanité blessée, de toute sa conscience en éveil, de toute son aversion de femme. Car ce n’était plus sa fille, mais une rivale, une ennemie. Et elle la traitait comme telle.

Et sa folie haineuse lui inspira un moyen suprême. Elle choisit, parmi les hommes de leur entourage, celui qu’elle estima le plus séduisant et le plus hardi. Et elle le protégea. Elle le conduisit auprès de Thérèse, et quand celle-ci venait chez sa mère, elle trouvait cet homme, toujours. Et la mère les laissait seuls.

Son œuvre ne l’écœurait nullement. Elle ne s’en rendait, d’ailleurs, pas un compte exact. Avant tout, elle souhaitait que sa fille succombât. Mais elle le voulait inconsciemment sans le formuler. C’était la volonté latente de sa nature, de sa rancune, de ses tendances, non la volonté exprimée de son cerveau. Il lui semblait qu’elle serait purifiée. Même, Thérèse coupable, elle ne se jugerait plus coupable.

Et elle guettait les progrès de son entreprise. Un bon symptôme la réjouissait. Elle se chagrinait d’un mauvais.

— Où en sont-ils, se demandait-elle avec une angoisse hypocrite, pourvu que l’enfant ait du courage !


Cela dura deux mois. Puis, un matin, Thérèse entra dans la chambre de madame Delnard. Elle entr’ouvrit les rideaux, s’assit sur le rebord du lit et murmura :

— Maman, j’ai à te parler…

Madame Delnard tressaillit :

— Qu’est-ce que tu as, petite ?

Il y eut une longue hésitation. La