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dier les signes qui en dénonçaient l’approche. Elle passa de longues heures chez Thérèse et choisit même cet endroit commode pour y donner des rendez-vous à son nouvel amant. Bien installée, elle observa. Spectacle passionnant, le chagrin de sa fille diminua, s’évanouit. La cicatrice se ferma. L’époux coupable devint odieux, puis indifférent. Et sur les lèvres et sur le visage de la jeune femme refleurit le sourire et s’affirma l’espoir d’un bonheur possible.

— Elle est prête, soupira la mère, il n’a qu’à se présenter.

Il s’en présenta, des hommes, en très grand nombre. Mais, dès le début, madame Delnard remarqua ceci : ils se posaient en prétendants, Thérèse les écoutait, puis, insensiblement, on ne savait par quel artifice, elle les décourageait et les amenait à une amitié respectueuse.

Au bout d’un an la situation n’avait pas changé. Madame Delnard n’y comprenait rien. Ses manières de voir, ses habitudes, ses convictions, tout s’en allait en déroute. Elle n’avait jamais rencontré de femme impeccable et ne s’imaginait point que ce fût possible de l’être. Certes elle ne désirait pas que sa fille prît un amant. Mais pourquoi n’en prenait-elle pas ? À quel principe se rattachait-elle ? À quelle règle ?

Elle le sut. Une après-midi, malgré le rendez-vous quotidien, elle ne trouva pas son ami chez Thérèse. Interrogée, celle-ci répondit nettement :

— Je l’ai prié de ne plus venir.

Elles s’examinèrent, les yeux dans les yeux, l’une impassible et triste, l’autre irritée, avide de lutte. Pourtant, il n’y eut pas de choc. Madame Delnard s’éloigna.