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Enfin, mes doigts rencontrèrent quelque chose, de la laine, une jupe sans doute. Incapable de choisir ce que je voulais, j’attirai le paquet contre ma poitrine. Et, de nouveau, je me mis à ramper, indéfiniment, le nez dans cette odeur de femelle grasse.

Près de la porte, je fouillai le pantalon. La clef s’y trouvait. Je l’introduisis. Deux cris de terreur résonnèrent. Je perdis la tête, je fermai le battant à deux tours de clef, je m’enfuis par les écuries et j’enterrai les vêtements sous le fumier.

À six heures, je descendis. La cour s’emplissait. Pendant qu’on procédait à l’appel, je me glissai jusqu’au manège et j’ouvris la porte d’un coup, me cachant derrière elle.

Alors un homme, un fou plutôt, vêtu d’un dolman, en flanquet, bondit, noir de poussière, les poings ensanglantés, et parcourut, en galopant, le grand quadrilatère où se groupaient les soldats et les officiers.

On le saisit. Puis on pénétra dans le manège, et l’on en tira la mère Provost, en chemise, sa poitrine de colosse au vent, et sanglotant avec des convulsions qui remuaient toute sa chair.

L’adjudant fut cassé. Un jour, j’appris sa disparition et le départ de la cantinière.

Tu comprends, maintenant, à qui j’ai fait l’aumône, tantôt à la foire. D’abord j’hésitais, ne les reconnaissant pas sous ces défroques. Mais la stupeur de l’homme m’a renseigné. Ce sont bien eux, déguenillés, ridicules, pitoyables. Ce sont eux qui tendent la main. C’est « Petit Monsieur », l’ancien adjudant, le héros décoré. Il commande une troupe de bêtes aujourd’hui !… Et tout cela… tout cela pour une paire de jambes !…