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d’affaires et d’une maîtresse.

Jacques eut ainsi quelqu’un à consulter dans les grandes circonstances. En tout, d’ailleurs, il s’en remit aux avis d’autrui. Son tailleur lui choisit l’étoffe de ses vêtements ; son marchand de tabac, ses cigares ; sa maîtresse, les camarades de cercle avec qui elle souhaitait de le tromper. Au restaurant, effaré devant la liste des plats, il commandait au garçon le même menu que le monsieur d’en face.

Hélas ! la vie se compose de petites déterminations successives que l’on doit bon gré, mal gré, prendre soi-même. À quel théâtre aller ? De deux invitations, laquelle accepter ? Quels bibelots offrir au Jour de l’An ?

Continuellement il se sentait placé entre deux, entre trois, entre vingt partis différents, attiré par l’un, tiraillé par l’autre, écartelé par tous. Son esprit était un champ de bataille. Tout projet lui apparaissait sous l’aspect d’une lutte inexorable.

Dans le but inconscient de réduire le nombre des cas où l’initiative est indispensable, il songea au mariage. Morel lui découvrit une jeune fille riche et de belle figure. Ils s’épousèrent.

Cette époque fut douce. Sauf le désaccord immédiat qui divisa sa femme Lucienne et Morel, jaloux tous deux de leur autorité sur lui, Jacques goûta un réel bonheur. Il se laissait vivre. Il connut les joies de l’esclavage, la quiétude, l’insouciance du lendemain. L’emploi de sa journée dépendait des ordres reçus. Il s’arrangea pour n’avoir jamais à