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ZOUINA



Quand on causait d’amour devant le vieux Rouvel, il se taisait. Nous lui demandâmes la raison de ce silence où l’on devinait comme un souvenir triste. Et il nous raconta :

J’avais vingt ans. Mon père m’embarqua pour l’Algérie où je devais seconder le représentant de sa maison de commerce. J’arrivai, l’imagination ardente, tout prêt à des amours tragiques, à des enlèvements, à une vie compliquée et romanesque. Et, dès le lendemain je me mis à parcourir la ville arabe, à la recherche d’une aventure.

C’est à peine si j’admirai les vieilles rues tortueuses qui dégringolent de la citadelle, les rues sombres pareilles à des couloirs, les rues sales pareilles à des égouts. À peine remarquai-je ces maisons titubantes qui semblent ivres à ne pouvoir tenir debout, dont les toits se rejoignent, dont la partie supérieure, débordant comme un ventre trop gros, a besoin de s’arc-bouter contre une forêt de perches et de bâtons.

Je ne m’arrêtais devant ces montées étroites, à marches espacées, qui s’en fuient en de pittoresques perspectives, au milieu de murs barbouillés de bleu, ou de façades aveuglantes, comme chauffées à blanc par le soleil, que pour contempler la descente grave et lente d’une