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ARSÈNE LUPIN CONTRE HERLOCK SHOLMÈS
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lenfant, vous m’avez coupé au milieu d’une phrase. Je disais donc…

— Rendez-vous, Lupin.

— Mais sacrebleu, brigadier Folenfant, on ne se rend que si l’on est en danger. Or tu n’as pas la prétention de croire que je coure le moindre danger !

— Pour la dernière fois, Lupin, je vous somme de vous rendre.

— Brigadier Folenfant, tu n’as nullement l’intention de me tuer, tout au plus de me blesser, tellement tu as peur que je n’échappe. Et si par hasard la blessure était mortelle ? Non, mais pense à tes remords, malheureux ! à ta vieillesse empoisonnée !… »

Le coup partit.

Lupin chancela, se cramponna un instant à l’épave, puis lâcha prise et disparut.

Il était exactement trois heures lorsque ces événements se produisirent. À six heures précises, ainsi qu’il l’avait annoncé, Herlock Sholmès, vêtu d’un pantalon trop court et d’un veston trop étroit qu’il avait empruntés à un aubergiste de Neuilly, coiffé d’une casquette et paré d’une chemise de flanelle à cordelière de soie, entra dans le boudoir de la rue Murillo, après avoir fait prévenir M. et Mme d’Imblevalle qu’il leur demandait un entretien.

Ils le trouvèrent qui se promenait de long en large. Et il leur parut si comique dans sa tenue bizarre qu’ils durent réprimer une forte envie de rire. L’air pensif, le dos voûté, il marchait comme un automate, de la fenêtre à la porte, et de la porte à la fenêtre, faisant chaque fois le même nombre de pas et pivotant chaque fois dans le même sens.

Il s’arrêta, saisit un bibelot, l’examina machinalement, puis reprit sa promenade.

Enfin, se plantant devant eux, il demanda :

« Mademoiselle est-elle ici ?

— Oui, dans le jardin, avec les enfants.

— Monsieur le baron, l’entretien que nous allons avoir étant définitif, je voudrais que Mlle Demun y assistât.

— Est-ce que, décidément… ?

— Ayez un peu de patience, monsieur, la vérité sortira clairement des faits que je vais exposer devant vous avec le plus de précision possible.

— Soit. Suzanne, veux-tu ?… »

Mme d’Imblevalle se leva et revint presque aussitôt, accompagnée d’Alice Demun. Mademoiselle, un peu plus pâle que de coutume, resta debout, appuyée contre une table et sans même demander la raison pour laquelle on l’avait appelée.

Sholmès ne parut pas la voir, et, se tournant brusquement vers M. d’Imblevalle, il articula d’un ton qui n’admettait pas la réplique :

« Après plusieurs jours d’enquête, monsieur, et bien que certains événements aient modifié un instant ma manière de voir, je vous répéterai ce que je vous ai dit dès la première heure : la lampe juive a été volée par quelqu’un qui habite cet hôtel.

— Le nom du coupable ?

— Je le connais.

— Les preuves ?

— Celles que j’ai suffiront à le confondre.

— Il ne suffit pas qu’il soit confondu. Il faut encore qu’il nous restitue…

— La lampe juive ? Elle est en ma possession.

— Le collier d’opales ? La tabatière ?…

— Le collier d’opales, la tabatière, bref tout ce qui vous fut dérobé la seconde fois est en ma possession. »

Sholmès aimait ces coups de théâtre et cette manière un peu sèche d’annoncer ses victoires.

De fait le baron et sa femme semblaient stupéfiés, et le considéraient avec une curiosité silencieuse, qui était la meilleure des louanges.

Il reprit ensuite par le menu le récit de ce qu’il avait fait durant ces trois jours. Il dit la découverte de l’album, écrivit sur une feuille de papier la phrase formée par les lettres découpées, puis raconta l’expédition de Bresson au bord de la Seine et le suicide de l’aventurier, et enfin la lutte que lui, Sholmès, venait de soutenir contre Lupin, le naufrage de la barque et la disparition de Lupin.

Quand il eut terminé, le baron dit à voix basse :

« Il ne vous reste plus qu’à nous révéler le nom du coupable. Qui donc accusez vous ?

— J’accuse la personne qui a découpé les lettres de cet alphabet, et communiqué au moyen de ces lettres avec Arsène Lupin.

— Comment savez-vous que le correspondant de cette personne est Arsène Lupin ?

— Par Lupin lui-même. »

Il tendit un bout de papier mouillé et froissé. C’était la page que Lupin avait arrachée de son carnet, dans la barque, et sur laquelle il avait inscrit la phrase.

« Et remarquez, nota Sholmès, avec satisfaction, que rien ne l’obligeait à me donner cette feuille, et, par conséquent, à se faire reconnaître. Simple gaminerie de sa part, et qui m’a renseigné.

— Qui vous a renseigné… dit le baron. Je ne vois rien cependant… »

Sholmès repassa au crayon les lettres et les chiffres.