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ARSÈNE LUPIN CONTRE HERLOCK SHOLMÈS

jours de la semaine. Lundi, mardi, mercredi, etc. Le mot samedi manquait. Or, le vol de la lampe juive avait eu lieu dans la nuit d’un samedi.

Herlock éprouva ce petit serrement du cœur qui lui annonçait toujours de la manière la plus nette, qu’il avait touché au nœud même de l’intrigue. Cette étreinte de la vérité, cette émotion de la certitude, ne le trompait jamais.

Fiévreux et confiant, il s’empressa de feuilleter l’album. Un peu plus loin, une autre surprise l’attendait.

C’était une page composée de lettres majuscules suivies d’une ligne de chiffres.

Neuf de ces lettres, et trois de ces chiffres avaient été enlevés soigneusement. Sholmès les inscrivit sur son carnet, dans l’ordre qu’ils eussent occupé, et obtint le résultat suivant :

CDEHNOPRZ — 237

« Fichtre, murmura-t-il, à première vue cela ne signifie pas grand’chose. »

Pouvait-on, en mêlant ces lettres et en les employant toutes, former un, ou deux ou trois mots complets ?

Sholmès le tenta vainement.

Une seule solution s’imposait à lui, qui revenait sans cesse sous son crayon, et qui, à la longue, lui parut la véritable, aussi bien parce qu’elle correspondait à la logique des faits que parce qu’elle s’accordait avec les circonstances générales. Étant donné que la page de l’album ne comportait qu’une seule fois chacune des lettres de l’alphabet, il était possible, il était certain qu’on se trouvait en présence de mots incomplets et que ces mots avaient été complétés par des lettres empruntées à d’autres pages. Dans ces conditions, et sauf erreur, l’énigme se posait ainsi :

REPOND.Z — CH — 237

Le premier mot était clair : répondez, un E manquant parce que la lettre E, déjà employée, n’était plus disponible.

Quant au second mot inachevé, il formait indubitablement, avec le nombre 237, l’adresse que donnait l’expéditeur au destinataire de la lettre. On proposait d’abord de fixer le jour au samedi, et l’on demandait une réponse à l’adresse CH.237.

Ou bien CH.237 était une formule de poste restante, ou bien les lettres CH faisaient partie d’un mot incomplet. Sholmès feuilleta l’album : aucune autre découpure n’avait été effectuée dans les pages suivantes. Il fallait donc, jusqu’à nouvel ordre, s’en tenir à l’explication trouvée.

« C’est amusant, n’est-ce pas ? »

Henriette était revenue. Il répondit :

« Si c’est amusant ! Seulement, tu n’as pas d’autres papiers ?… ou bien des mots déjà découpés et que je pourrais coller ?

— Des papiers ?… non… Et puis, Mademoiselle ne serait pas contente.

— Mademoiselle ?

— Oui, elle m’a déjà grondée.

— Pourquoi ?

— Parce que je vous ai dit des choses… et qu’elle dit qu’on ne doit jamais dire des choses sur ceux qu’on aime bien.

— Tu as absolument raison. »

Henriette sembla ravie de l’approbation, tellement ravie qu’elle tira d’un menu sac de toile, épinglé à sa robe, quelques loques, trois boutons, deux morceaux de sucre, et finalement, un carré de papier qu’elle tendit à Sholmès.

« Tiens, je te le donne tout de même. »

C’était un numéro de fiacre, le 8279.

« D’où vient-il, ce numéro ?

— Il est tombé de son porte-monnaie.

— Quand ?

— Dimanche, à la messe, comme elle prenait des sous pour la quête.

— Parfait ! Et maintenant, je vais te donner le moyen de n’être pas grondée. Ne dis pas à Mademoiselle que tu m’as vu. »

Sholmès s’en alla trouver M. d’Imblevalle et nettement l’interrogea sur Mademoiselle. Le baron eut un haut-le-corps.

« Alice Demun ! est-ce que vous penseriez ?… c’est impossible.

— Depuis combien de temps est-elle à votre service ?

— Un an seulement, mais je ne connais pas de personne plus tranquille et en qui j’aie plus de confiance.

— Comment se fait-il que je ne l’aie pas encore aperçue ?

— Elle s’est absentée deux jours.

— Et actuellement ?

— Dès son retour, elle a voulu s’installer au chevet de votre ami. Elle a toutes les qualités de la garde-malade… douce… prévenante… M. Wilson en paraît enchanté.

— Ah ! » fit Sholmès, qui avait complètement négligé de prendre des nouvelles du vieux camarade. Il réfléchit et s’informa :

« Et le dimanche matin, est-elle sortie ?

— Le lendemain du vol ?

— Oui. »

Le baron appela sa femme et lui posa la question. Elle répondit :

« Mademoiselle est partie comme à l’ordinaire pour aller à la messe de onze heures avec les enfants.

— Mais, auparavant ?

— Auparavant ? Non… Ou plutôt… mais j’étais si bouleversée par ce vol !…