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ARSÈNE LUPIN CONTRE HERLOCK SHOLMÈS

« Herlock, vous allez à Paris.

— Possible.

— Et vous y allez plus encore pour répondre à la provocation de Lupin que pour obliger le baron d’Imblevalle.

— Possible.

— Herlock, je vous accompagne.

Ah ! ah ! vieil ami, s’écria Sholmès, en interrompant sa promenade, vous n’avez donc pas peur que votre bras gauche ne partage le sort de votre bras droit ?

— Que peut-il m’arriver ? Vous serez là.

— À la bonne heure, vous êtes un gaillard ! et nous allons montrer à ce monsieur qu’il a peut-être tort de nous jeter le gant avec tant d’effronterie. Vite, Wilson, et rendez-vous au premier train.

— Sans attendre les journaux dont le baron vous annonce l’envoi ?

— À quoi bon ?

— J’expédie un télégramme ?

— Inutile. Arsène Lupin connaîtrait mon arrivée. Je n’y tiens pas. Cette fois Wilson, il faut jouer serré.

L’après-midi, les deux amis s’embarquaient à Douvres. La traversée fut excellente. Dans le rapide de Calais à Paris, Sholmès s’offrit trois heures de sommeil le plus profond, tandis que Wilson faisait bonne garde à la porte du compartiment et méditait, l’œil vague.

Sholmès s’éveilla heureux et dispos. La perspective d’un nouveau duel avec Arsène Lupin le ravissait et il se frottait les mains de l’air satisfait d’un homme qui se prépare à goûter des joies abondantes.

« Enfin, s’exclama Wilson, on va se dégourdir ! »

Et il se frotta les mains du même air satisfait.

En gare, Sholmès prit les plaids, et suivi de Wilson qui portait les valises — chacun son fardeau — il donna les tickets et sortit allègrement.

« Beau temps, Wilson… Du soleil !… Paris est en fête pour nous recevoir.

— Quelle foule !

— Tant mieux, Wilson ! nous ne risquons pas d’être remarqués. Personne ne nous reconnaîtra au milieu d’une telle multitude !

— Monsieur Sholmès ? n’est-ce pas ? »

Il s’arrêta quelque peu interloqué. Qui diable pouvait ainsi le désigner par son nom ? Une femme se tenait à ses côtés, une jeune fille, dont la mise très simple soulignait la silhouette distinguée, et dont la jolie figure avait une expression inquiète et douloureuse.

Elle répéta :

« Vous êtes bien monsieur Sholmès ? »

Comme il se taisait, autant par désarroi que par habitude de prudence, elle redit une troisième fois :

« C’est bien à monsieur Sholmès que j’ai l’honneur de parler ?

— Que me voulez-vous ? » dit-il assez bourru, croyant à une rencontre douteuse.

Elle se planta devant lui.

« Écoutez-moi, Monsieur, c’est très grave, je sais que vous allez rue Murillo.

— Que dites-vous ?

— Je sais… je sais… rue Murillo… au numéro 18. Eh bien ! il ne faut pas… non, vous ne devez pas y aller… je vous assure que vous le regretteriez. Si je vous dis cela, ne pensez pas que j’y aie quelque intérêt. C’est par raison, c’est en toute conscience. »

Il essaya de l’écarter, elle insista :

« Oh ! je vous en prie, ne vous obstinez pas… Ah ! si je savais comment vous convaincre ! Regardez tout au fond de moi, tout au fond de mes yeux… ils sont sincères… ils disent la vérité. »

Elle offrait ses yeux éperdûment, de ces beaux yeux graves et limpides où semble se réfléchir l’âme elle-même. Wilson hocha la tête.

« Mademoiselle a l’air bien sincère.

— Mais oui, implora-t-elle, et il faut avoir confiance…

— J’ai confiance, Mademoiselle, répliqua Wilson.

— Oh ! comme je suis heureuse ! votre ami aussi, n’est-ce pas ? je le sens… j’en suis sûre ! Quel bonheur ! tout va s’arranger !… Ah ! la bonne idée que j’ai eue !… Tenez, monsieur, il y a un train pour Calais dans vingt minutes… Eh bien ! vous le prendrez… Vite, suivez-moi… le chemin est de ce côté, et vous n’avez que le temps. »

Elle cherchait à l’entraîner. Sholmès lui saisit le bras et d’une voix qu’il cherchait à rendre aussi douce que possible :

« Excusez-moi, Mademoiselle, de ne pouvoir accéder à votre désir, mais je n’abandonne jamais une tâche que j’ai entreprise.

— Je vous en supplie… je vous en supplie… ah ! si vous pouviez comprendre ! »

Il passa outre et s’éloigna rapidement.

Wilson dit à la jeune fille :

« Ayez bon espoir… il ira, jusqu’au bout de l’affaire… il n’y a pas d’exemple qu’il ait encore échoué… »

Et il rattrapa Sholmès en courant.

Herlock Sholmès. — Arsène Lupin.

Ces mots, qui se détachaient en grosses lettres noires, les heurtèrent aux premiers pas. Ils approchèrent : une théorie d’hommes sandwich déambulaient les uns derrière les autres, portant à la main de lourdes cannes ferrées dont ils frappaient