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ARSÈNE LUPIN CONTRE HERLOCK SHOLMÈS
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Rome, officier de la Légion d’honneur, auteur d’ouvrages très appréciés sur l’architecture, etc… »

Il se rendit alors à la pharmacie, et, de là, à la maison de santé où l’on avait transporté Wilson. Sur son lit de torture, le bras emprisonné dans une gouttière, grelottant de fièvre, le vieux camarade divaguait :

« Victoire ! victoire ! s’écria Sholmès, je tiens une extrémité du fil.

— De quel fil ?

— Celui qui me mènera au but ! Je vais marcher sur un terrain solide, où il y aura des empreintes, des indices…

— De la cendre de cigarette ? demanda Wilson, que l’intérêt de la situation ranimait.

— Et bien d’autres choses ! Pensez donc, Wilson, j’ai dégagé le lien mystérieux qui unissait entre elles les différentes aventures de la Dame blonde. Pourquoi les trois demeures où se sont dénouées ces trois aventures ont-elles été choisies par Lupin ?

— Oui, pourquoi ?

— Parce que ces trois demeures, Wilson, ont été construites par le même architecte. C’était facile à deviner, direz-vous ? Certes. Aussi personne n’y songeait-il.

— Personne, sauf vous.

— Sauf moi, qui sais maintenant que le même architecte, en combinant des plans analogues, a rendu possible l’accomplissement de trois actes, en apparence miraculeux, en réalité simples et faciles.

— Quel bonheur !

— Et il était temps, vieux camarade, je commençais à perdre patience… C’est que nous en sommes déjà au quatrième jour.

— Sur dix.

— Oh ! désormais… »

Il ne tenait pas en place, exubérant et joyeux, contre son habitude.

« Non, mais quand je pense que, tantôt dans la rue, ces gredins-là auraient pu casser mon bras tout aussi bien que le vôtre. Qu’en dites-vous, Wilson ? »

Wilson se contenta de frissonner à cette horrible supposition. Et Sholmès reprit :

« Que cette leçon nous profite ! Voyez-vous, Wilson, notre grand tort a été de combattre Lupin à visage découvert, et il n’y a que demi-mal, puisqu’il n’a réussi qu’à vous atteindre…

— Et que j’en suis quitte pour un bras cassé, gémit Wilson.

— Alors que les deux pouvaient l’être. Mais plus de fanfaronnades. En plein jour et surveillé, et je suis vaincu. Dans l’ombre et libre de mes mouvements, j’ai l’avantage, quelles que soient les forces de l’ennemi.

— Ganimard pourrait vous aider.

— Jamais ! Le jour où il me sera permis de dire : Arsène Lupin est là, voici son gîte, et voici comment il faut s’emparer de lui, j’irai relancer Ganimard à l’une des deux adresses qu’il m’a données : son domicile, rue de Pergolèse, ou la taverne Suisse, place du Châtelet. D’ici là, j’agis seul. »

Il s’approcha du lit, posa sa main sur l’épaule de Wilson — sur l’épaule malade naturellement — et il lui dit avec une grande affection :

« Soignez-vous, mon vieux camarade. Votre rôle consiste désormais à occuper deux ou trois des hommes d’Arsène Lupin, qui attendront vainement, pour retrouver ma trace, que je vienne prendre de vos nouvelles. C’est un rôle de confiance.

— Un rôle de confiance et je vous en remercie, répliqua Wilson, pénétré de gratitude ; je mettrai tous mes soins à le remplir consciencieusement. Mais, d’après ce que je vois, vous ne revenez plus !

— Pourquoi faire.

— En effet… en effet… Je vais aussi bien que possible : ne pourriez-vous me donner à boire ?

— À boire ?

— Oui, je meurs de soif, et avec ma fièvre…

— Mais comment donc ! tout de suite… »

Il tripota deux ou trois bouteilles, aperçut un paquet de tabac, alluma sa pipe et soudain comme s’il n’avait même entendu la prière de son ami, il s’en alla pendant que le vieux camarade implorait du regard un verre d’eau inaccessible.

« M. Destange ! »

Le domestique toisa l’individu auquel il venait d’ouvrir la porte de l’hôtel — le magnifique hôtel qui fait le coin de la place Malesherbes et de la rue Montchanin — et à l’aspect de ce petit homme à cheveux gris, mal rasé, et dont la longue redingote noire, d’une propreté douteuse, se conformait aux bizarreries d’un corps que la nature avait singulièrement disgracié, il répondit avec le dédain qui convenait :

« M. Destange est ici, ou il n’y est pas. Ça dépend. Monsieur a sa carte ? »

Monsieur n’avait pas sa carte, mais il avait une lettre d’introduction, et le domestique dut porter cette lettre à M. Destange, lequel M. Destange donna l’ordre qu’on amenât auprès de lui le nouveau venu.

Il fut donc introduit dans une immense pièce en rotonde qui occupe une des ailes de l’hôtel, et dont les murs étaient recouverts de livres, et l’architecte lui dit :

« Vous êtes Monsieur Stickmann ?

— Oui, monsieur.