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ARSÈNE LUPIN CONTRE HERLOCK SHOLMÈS

tout simplement de découvrir le lien qui réunit ces trois épisodes de la même histoire, le fait qui prouve l’unité des trois méthodes. Ganimard, dont le jugement est un peu superficiel, voit cette unité dans la faculté de disparaître, dans le pouvoir d’aller et de venir tout en restant invisible. Cette intervention du miracle ne me satisfait pas.

— Et alors ?

— Alors, selon moi, énonça nettement Sholmès, la caractéristique de ces trois aventures, c’est votre dessein manifeste, évident, quoique inaperçu jusqu’ici, d’amener l’affaire sur le terrain préalablement choisi par vous. Il y a là de votre part, plus qu’un plan, une nécessité, une condition sine qua non de réussite.

— Pourriez-vous entrer dans quelques détails ?

— Facilement. Ainsi, dès le début de votre conflit avec M. Gerbois, n’est-il pas évident que l’appartement de Me Detinan est le lieu choisi par vous, le lieu inévitable où il faut qu’on se réunisse. Il n’en est pas un qui vous paraisse plus sûr, à tel point que vous y donnez rendez-vous publiquement pourrait-on dire, à la Dame blonde et à Mlle Gerbois.

— La fille du professeur, précisa Wilson.

— Maintenant, parlons du diamant bleu. Aviez-vous essayé de vous l’approprier depuis que le baron d’Hautrec le possédait ? Non. Mais le baron prend l’hôtel de son frère : six mois après, intervention d’Antoinette Bréhat et première tentative. — Le diamant vous échappe, et la vente s’organise à grand fracas à l’hôtel Drouot. Sera-t-elle libre, cette vente ? Le plus riche amateur est-il sûr d’acquérir le bijou ? Nullement. Au moment où le banquier Herschmann va l’emporter, une dame lui fait passer une lettre de menaces, et c’est la comtesse de Crozon, préparée, influencée par cette même dame, qui achète le diamant. — Va-t-il disparaître aussitôt ? Non : les moyens vous manquent. Donc, intermède. Mais la comtesse s’installe dans son château. C’est ce que vous attendiez. La bague disparaît.

— Pour reparaître dans la poudre dentifrice du consul, Bleichen, anomalie bizarre, objecta Lupin.

— Allons donc, s’écria Herlock, en frappant la table du poing, ce n’est pas à moi qu’il faut conter de telles sornettes. Que les imbéciles s’y laissent prendre, soit, mais pas le vieux renard que je suis.

— Ce qui veut dire ?

— Ce qui veut dire… »

Sholmès prit un temps comme s’il voulait ménager son effet. Enfin il formula :

« Le diamant bleu qu’on a découvert dans la poudre dentifrice est un diamant faux. Le vrai, vous l’avez gardé.

Arsène Lupin demeura un instant silencieux, puis, très simplement, les yeux fixés sur l’Anglais :

« Vous êtes un rude homme, monsieur.

— Un rude homme, n’est-ce pas, souligna Wilson, béant d’admiration.

— Oui, affirma Lupin, tout s’éclaire, tout prend son véritable sens. Pas un seul des juges d’instruction, pas un seul des journalistes spéciaux qui se sont acharnés sur ces affaires, n’ont été aussi loin dans la direction de la vérité. C’est miraculeux d’intuition et de logique.

— Peuh ! fit l’Anglais flatté de l’hommage d’un tel connaisseur, il suffisait de réfléchir.

— Il suffisait de savoir réfléchir, et si peu le savent ! Mais maintenant que le champ des suppositions est plus étroit et que le terrain est déblayé…

— Eh bien ! maintenant, je n’ai plus qu’à découvrir pourquoi les trois aventures se sont dénouées au 25 de la rue Clapeyron, au 134 de l’avenue Henri-Martin et entre les murs du château de Crozon. Toute l’affaire est là. Le reste n’est que balivernes et charade pour enfant. N’est-ce pas votre avis ?

— C’est mon avis.

— En ce cas, monsieur Lupin, ai-je tort de répéter que dans dix jours ma besogne sera achevée ?

— Dans dix jours, oui, toute la vérité vous sera connue.

— Et vous serez arrêté.

— Non.

— Non ?

— Il faut, pour que je sois arrêté, un concours de circonstances si invraisemblables, une série de mauvais hasards si stupéfiants, que je n’admets pas cette éventualité.

— Ce que ne peuvent ni les circonstances ni les hasards contraires, la volonté et l’obstination d’un homme le pourront, monsieur Lupin.

— Si la volonté et l’obstination d’un autre homme n’opposent à ce dessein un obstacle invincible, monsieur Sholmès.

— Il n’y a pas d’obstacle invincible, monsieur Lupin. »

Le regard qu’ils échangèrent fut profond, sans provocation d’une part ni de l’autre, mais calme et hardi. C’était le battement de deux épées qui engagent le fer. Cela sonnait clair et franc.

« À la bonne heure, s’écria Lupin, voici quelqu’un ! Un adversaire, mais c’est l’oiseau rare, et celui-là est Herlock Sholmès ! On va s’amuser.

— Vous n’avez pas peur ? demanda Wilson.

— Presque, monsieur Wilson, et la preuve, dit Lupin en se levant, c’est que