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ARSÈNE LUPIN CONTRE HERLOCK SHOLMÈS
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un Lupin et un Ganimard. Or, le mauvais Ganimard voulait faire du mal à la jolie dame blonde, et le bon Lupin ne le voulait pas. Aussi le bon Lupin, désireux que la Dame blonde entrât dans l’intimité de la comtesse de Crozon, lui fit-il prendre le nom de Mme de Réal qui est celui — ou à peu près — d’une honnête commerçante dont les cheveux sont dorés et la figure pâle. Et le bon Lupin se disait : « Si jamais le mauvais Ganimard est sur la piste de la Dame blonde, combien il pourra m’être utile de le faire dévier sur la piste de l’honnête commerçante ! » Sage précaution et qui porte ses fruits. Une petite note envoyée au journal du mauvais Ganimard, un flacon d’odeur oublié volontairement par la vraie Dame blonde à l’hôtel Beaurivage, le nom et l’adresse de Mme Réal écrits par cette vraie Dame blonde sur les registres de l’hôtel, et le tour est joué. Qu’en dis-tu, Ganimard ? J’ai voulu te conter l’aventure par le menu, sachant qu’avec ton esprit tu serais le premier à en rire. De fait elle est piquante, et j’avoue que, pour ma part, je m’en suis follement diverti.

« À toi donc merci, cher ami, et mes bons souvenirs à cet excellent M. Dudouis.

« Arsène Lupin. »

« Mais il sait tout ! gémit Ganimard, qui ne songeait nullement à rire, il sait des choses que je n’ai dites à personne. Comment pouvait-il savoir que je vous demanderais de venir, chef ? Comment pouvait-il savoir ma découverte du premier flacon ?… Comment pouvait-il savoir ?… »

Il trépignait, s’arrachait les cheveux, en proie au plus tragique désespoir.

M. Dudouis eut pitié de lui.

« Alors, Ganimard, consolez-vous, on tâchera de faire mieux une autre fois. »

Et le chef de la Sûreté s’éloigna, accompagné de Mme Réal.

Dix minutes s’écoulèrent, Ganimard lisait et relisait la lettre de Lupin. Dans un coin, M. et Mme Crozon, M. d’Hautrec et M. Gerbois s’entretenaient avec animation. Enfin le comte s’avança vers l’inspecteur et lui dit :

« De tout cela il résulte, cher monsieur, que nous ne sommes pas plus avancés qu’avant.

— Pardon. Mon enquête a établi que la Dame blonde est l’héroïne indiscutable de ces aventures et que Lupin la dirige. C’est un pas énorme.

— Et qui ne sert à rien. Le problème est peut-être même plus obscur. La Dame blonde tue pour voler le diamant bleu et elle ne le vole pas. — Elle vole, et c’est pour s’en débarrasser au profit d’un autre.

— Je n’y peux rien.

— Certes, mais quelqu’un pourrait peut-être…

— Que voulez-vous dire ? »

Le comte hésitait, mais la comtesse prit la parole et nettement :

« Il est un homme, un seul après vous, selon moi, qui serait capable de combattre Lupin et de le réduire à merci. Monsieur Ganimard, vous serait-il désagréable que nous sollicitions l’aide d’Herlock Sholmès ? »

Il fut décontenancé.

« Mais non… seulement… je ne comprends pas bien…

— Voilà. Tous ces mystères m’agacent. Je veux voir clair. M. Gerbois et M. d’Hautrec ont la même volonté, et nous nous sommes mis d’accord pour nous adresser au célèbre détective anglais.

— Vous avez raison, Madame, prononça l’inspecteur avec une loyauté qui n’était pas sans quelque mérite, vous avez raison, le vieux Ganimard n’est pas de force à lutter contre Arsène Lupin. Herlock Sholmès y réussira-t-il ? Je le souhaite, car j’ai pour lui la plus grande admiration… Cependant… il est peu probable…

— Il est peu probable qu’il aboutisse ?

— C’est mon avis. Je considère qu’un duel entre Herlock Sholmès et Arsène Lupin est une chose réglée d’avance. L’Anglais sera battu.

— En tout cas, peut-il compter sur vous ?

— Entièrement, Madame. Mon concours lui est assuré sans réserves.

— Vous connaissez son adresse ?

— Oui, Parker, Street, 219. »

Le soir même, M. et Mme Crozon se désistaient de leur plainte contre le consul Bleichen, et une lettre collective était adressée à Herlock Sholmès.