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ARSÈNE LUPIN CONTRE HERLOCK SHOLMÈS

êtes-vous procuré celui que vous m’aviez promis ?

— Non… non… je ne sais pas… je ne me rappelle pas.

— Mais si… cherchez bien… Une personne de votre connaissance devait vous remettre un diamant teinté… « quelque chose comme le diamant bleu », ai-je dit en riant, et vous m’avez répondu : « Précisément, j’aurai peut-être votre affaire. Vous souvenez-vous ? »

Elle se taisait. Un petit réticule qu’elle tenait à la main tomba. Elle le ramassa vivement et le serra contre elle. Ses doigts tremblaient un peu.

« Allons, dit Ganimard, je vois que vous n’avez pas confiance en nous, madame de Réal, je vais vous donner le bon exemple, et vous montrer ce que je possède, moi. »

Il tira de son portefeuille un papier qu’il déplia, et tendit une mèche de cheveux.

« Voici d’abord quelques cheveux d’Antoinette Bréhat, arrachés par le baron et recueillis dans la main du mort. J’ai vu Mlle Gerbois, qui a reconnu positivement la couleur des cheveux de la Dame blonde… la même couleur que les vôtres d’ailleurs… exactement la même couleur. »

Mme Réal l’observait d’un air stupide et comme si vraiment elle ne saisissait pas le sens de ses paroles. Il continua :

« Et maintenant voici deux flacons d’odeur, sans étiquette, il est vrai, et vides, mais encore assez imprégnés de leur odeur, pour que Mlle Gerbois ait pu, ce matin même, y distinguer le parfum de cette Dame blonde, qui fut sa compagne de voyage durant deux semaines. Or, l’un des flacons provient de la chambre que Mme de Réal occupait au château de Crozon, et l’autre de la chambre que vous occupiez à l’hôtel Beaurivage.

— Que dites-vous !… La Dame blonde… le château de Crozon… »

Sans répondre, l’inspecteur aligna sur la table quatre feuilles.

« Enfin, dit-il, voici, sur ces quatre feuilles, un spécimen de l’écriture d’Antoinette Bréhat, un autre de la dame qui écrivit au baron Herschmann lors de la vente du diamant bleu, un autre de Mme de Réal, lors de son séjour à Crozon, et le quatrième… de vous-même, madame… c’est votre nom et votre adresse, donnés par vous au portier de l’hôtel Beaurivage, à Trouville. Or, comparez les quatre écritures, Elles sont identiques.

— Mais vous êtes fou, monsieur ! vous êtes fou ! que signifie tout cela ?

— Cela signifie, madame, s’écria Ganimard dans un grand mouvement, que la Dame blonde, l’amie et la complice d’Arsène Lupin, n’est autre que vous. »

Il poussa la porte du salon voisin, se rua sur M. Gerbois, le bouscula par les épaules et l’attirant devant Mme Réal :

« Monsieur Gerbois, reconnaissez-vous la personne qui enleva votre fille, et que vous avez vue chez Me Detinan ?

— Non. »

Il y eut comme une commotion dont chacun reçut le choc. Ganimard chancela.

« C’est tout réfléchi… madame est blonde comme la Dame blonde… pâle comme elle… mais elle ne lui ressemble pas du tout.

— Je ne puis croire… une pareille erreur est inadmissible… Monsieur d’Hautrec, vous reconnaissez bien Antoinette Bréhat ?

— J’ai vu Antoinette Bréhat chez mon oncle… ce n’est pas elle.

— Et madame n’est pas non plus Mme de Réal, » affirma le comte de Crozon.

C’était le coup de grâce. Ganimard en fut étourdi et ne broncha plus, la tête basse, les yeux fuyants. De toutes ses combinaisons il ne restait rien. L’édifice s’écroulait.

M. Dudouis se leva.

« Vous nous excuserez, madame, il y a là une confusion regrettable que je vous prie d’oublier. Mais ce que je ne saisis pas bien c’est votre trouble… votre attitude bizarre depuis que vous êtes ici.

— Mon Dieu, monsieur, j’avais peur… il y a plus de cent mille francs de bijoux dans mon sac, et les manières de votre ami n’étaient guère rassurantes.

— Mais vos absences continuelles ?…

— N’est-ce pas mon métier qui l’exige ? »

M. Dudouis n’avait rien à répondre. Il se tourna vers son subordonné.

« Vous avez pris vos informations avec une légèreté déplorable, Ganimard, et tout à l’heure vous vous êtes conduit envers madame de la façon la plus maladroite. Vous viendrez vous en expliquer dans mon cabinet. »

L’entrevue était terminée, et le chef de la Sûreté se disposait à partir, quand il se passa un fait vraiment déconcertant. Mme Réal s’approcha de l’inspecteur et lui dit :

« J’entends que vous vous appelez monsieur Ganimard… Je ne me trompe pas ?

— Non.

— En ce cas, cette lettre doit être pour vous, je l’ai reçue ce matin, avec l’adresse que vous pouvez lire : « M. Justin Ganimard aux bons soins de Mme Réal. » J’ai pensé que c’était une plaisanterie, puisque je ne vous connaissais pas sous ce nom, mais sans doute ce correspondant inconnu savait-il notre rendez-vous. »

Par une intuition singulière, Justin Ganimard fut près de saisir la lettre et de l’anéantir. Il n’osa, devant son supérieur, et déchira l’enveloppe. La lettre contenait ces mots qu’il articula d’une voix à peine intelligible :

« Il y avait une fois une Dame blonde,