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ARSÈNE LUPIN CONTRE HERLOCK SHOLMÈS

ces aventures est connue de tous ceux qui vont me lire. De fait, il n’est pas un geste de notre « voleur national », comme on l’a si joliment appelé, qui n’ait été signalé de la façon la plus retentissante, pas un exploit que l’on n’ait étudié sous toutes ses faces, pas un acte qui n’ait été commenté avec cette abondance de détails que l’on réserve d’ordinaire au récit des actions héroïques.

Qui ne connaît, par exemple, cette étrange histoire de « La Dame blonde », avec ses épisodes curieux que les reporters intitulaient en gros caractères : Le numéro 514, série 23 !… Le crime de l’avenue Henri-Martin !… Le Diamant bleu ! Quel bruit autour de l’intervention du fameux détective anglais Herlock Sholmès ! Quelle effervescence après chacune des péripéties qui marquèrent la lutte de ces deux grands artistes ! Et quel vacarme sur les boulevards, le jour où les camelots vociféraient : « L’arrestation d’Arsène Lupin ! »

Mon excuse, c’est que j’apporte du nouveau ; j’apporte le mot de l’énigme. Il reste toujours de l’ombre autour de ces aventures : je la dissipe. Je reproduis des articles lus et relus, je recopie d’anciennes interviews : mais tout cela je le coordonne, je le classe, et je le soumets à l’exacte vérité. Mon collaborateur, c’est Arsène Lupin dont la complaisance à mon égard est inépuisable. Et c’est aussi, en l’occurrence, l’ineffable Wilson, l’ami et le confident de Sholmès.

On se rappelle le formidable éclat de rire qui accueillit la publication de la double dépêche. Le nom seul d’Arsène Lupin était un gage d’imprévu, une promesse de divertissement pour la galerie. Et la galerie, c’était le monde entier.

Des recherches opérées aussitôt par le Crédit Foncier, il résulta que le numéro 514-série 23, avait été délivré par l’intermédiaire du Crédit Lyonnais, succursale de Versailles, au commandant d’artillerie Bessy. Or, le commandant était mort d’une chute de cheval. On sut par des camarades auxquels il s’était confié que, quelque temps avant sa mort, il avait dû céder son billet à un ami.

« Cet ami, c’est moi, affirma M. Gerbois.

— Prouvez-le, objecta le Gouverneur du Crédit Foncier.

— Que je le prouve ? Facilement. Vingt personnes vous diront que j’avais avec le commandant des relations suivies et que nous nous rencontrions au café de la Place-d’Armes. C’est là qu’un jour, pour l’obliger dans un moment de gêne, je lui ai repris son billet contre la somme de vingt francs.

— Vous avez des témoins de cet échange ?

— Non.

— En ce cas, sur quoi fondez-vous votre réclamation ?

— Sur la lettre qu’il m’a écrite à ce sujet.

— Quelle lettre ?

— Une lettre qui était épinglée avec le billet.

— Montrez-la.

— Mais elle se trouvait dans le secrétaire volé.

— Retrouvez-la. »

Arsène Lupin la communiqua, lui. Une note insérée par l’Écho de France — lequel a l’honneur d’être son journal officiel, et dont il est, paraît-il, un des principaux actionnaires — une note annonça qu’il remettait entre les mains de Me Detinan, son avocat-conseil, la lettre que le commandant Bessy lui avait écrite, à lui personnellement.

Ce fut une explosion de joie : Arsène Lupin prenait un avocat ! Arsène Lupin, respectueux des règles établies, désignait pour le représenter un membre du barreau !

Toute la presse se rua chez Me Detinan, député radical influent, homme de haute probité en même temps que d’esprit fin, un peu sceptique, volontiers paradoxal. Detinan n’avait jamais eu le plaisir de rencontrer Arsène Lupin — et il le regrettait vivement — mais il venait, en effet, de recevoir ses instructions, et, très touché d’un choix dont il sentait tout l’honneur, il comptait défendre vigoureusement le droit de son client. Il ouvrit donc le dossier nouvellement constitué, et, sans détours, exhiba la lettre du commandant. Elle prouvait bien la cession du billet, mais ne mentionnait pas le nom de l’acquéreur. « Mon cher ami… disait-elle simplement. »

« Mon cher ami, c’est moi, ajoutait Arsène Lupin dans une note jointe à la lettre du commandant. Et la meilleure preuve c’est que j’ai la lettre. »

La nuée des reporters s’abattit immédiatement chez M. Gerbois, qui ne put que répéter :

« Mon cher ami » n’est autre que moi. Arsène Lupin a volé la lettre du commandant avec le billet de loterie.

— Qu’il le prouve ! riposta Lupin aux journalistes.

— Mais puisque c’est lui qui a volé le secrétaire ! » s’exclama M. Gerbois devant les mêmes journalistes.

Et Lupin riposta :

« Qu’il le prouve ! »

Et ce fut un spectacle d’une fantaisie charmante que ce duel public entre les deux possesseurs du numéro 514-série 23, que ces allées et venues des reporters, que le sang-froid d’Arsène Lupin en face de l’affolement de ce pauvre M. Gerbois.

Le malheureux, la presse était remplie