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— Tu sais, dit-elle à Sholmès, j’en fais aussi des papiers comme celui que t’as reçu l’autre soir.

— Des papiers ?

— Oui, comme des télégrammes, — avec des bandes qu’on colle dessus…

Elle sortit. Sholmès qui n’avait écouté que d’une oreille distraite, continua son inspection. Mais tout à coup il se mit à courir après l’enfant dont la dernière phrase le frappait subitement. Il la rattrapa au haut de l’escalier et lui dit :

— Alors, toi aussi, tu colles des bandes sur du papier ?

Henriette, très fière, déclara :

— Mais oui, je découpe des mots et je les colle.

— Et qui t’a montré ce petit jeu ?

— Mademoiselle… je lui en ai vu faire autant. Elle prend les mots sur des journaux et les colle… ça fait des télégrammes, des lettres qu’elle envoie.

Herlock Sholmès rentra dans la salle d’études, singulièrement intrigué par cette confidence et s’efforçant d’en extraire les déductions qu’elle comportait.

Des journaux, il y en avait un paquet sur la cheminée. Il les déplia, et vit en effet des groupes de mots ou des lignes qui manquaient, régulièrement et proprement enlevés. Mais il lui suffit de lire les mots qui précédaient ou qui suivaient, pour constater que les mots qui manquaient avaient été découpés au hasard des ciseaux, par Henriette évidemment. Il se pouvait que dans la liasse des journaux il y en eut un que Mademoiselle eût découpé elle-même. Mais comment s’en assurer ?

Machinalement, Herlock feuilleta les livres de classe empilés sur la table, puis d’autres qui reposaient sur les rayons d’un placard. Et soudain il eut un cri de joie. Dans un coin de ce placard, sous de vieux cahiers amoncelés, il avait trouvé un album pour enfants, un alphabet orné d’images, et, à l’une des pages de cet album, un vide lui était apparu.

Il vérifia. C’était la nomenclature des jours de la semaine. Lundi, mardi, mercredi, etc. Le mot samedi manquait. Or, le vol de la lampe juive avait eu lieu dans la nuit d’un samedi.

Il continua de feuilleter. Deux pages plus loin, autre surprise.

C’était une page composée de lettres majuscules, suivies d’une ligne de chiffres.

Neuf de ces lettres, et trois de ces chiffres avaient été enlevés soigneusement.

Sholmès les inscrivit sur son carnet, dans l’ordre qu’ils eussent occupé, et obtint le résultat suivant :

CDEHNOPRZ — 237

— Fichtre, murmura-t-il, à première vue cela ne signifie pas grand-chose.

Pouvait-on, en mêlant ces lettres et en les employant toutes, former un, ou deux, ou trois mots complets ?

Sholmès le tenta vainement.

Une seule solution s’imposait à lui, qui revenait sans cesse sous son crayon, et qui, à la longue, lui parut la véritable, aussi bien parce qu’elle correspondait à la logique des faits que parce qu’elle s’accordait avec les circonstances générales.

Étant donné que la page de l’album ne comportait qu’une seule fois chacune des lettres de l’alphabet, il était probable, il était certain qu’on se trouvait en présence de mots incomplets et que ces mots avaient été complétés par des lettres empruntées à d’autres pages. Dans ces conditions, l’énigme se posait fatalement ainsi :

REPOND.Z — CH — 237

Le premier mot était clair : répondez, un E manquant parce que la lettre E, déjà employée, n’était plus disponible.

Quand au second mot inachevé, il formait indubitablement, avec le nombre 237, l’adresse que donnait l’expéditeur au destinataire de la lettre. On proposait d’abord de fixer le jour au samedi et l’on demandait une réponse à l’adresse CH.27.

Ou bien CH.237 était une formule de poste restante, ou bien les deux lettres C H faisaient partie d’un mot incomplet. Sholmès feuilleta l’album : aucune autre découpure n’avait été effectuée dans les pages suivantes.

— C’est amusant, n’est-ce pas ?

Henriette était revenue. Elle ajouta :

— Seulement, Mademoiselle m’a grondée.

— Pourquoi ?

— Parce que je vous ai dit des choses…

— Tu n’en as pas d’autres à me dire ?

Elle réfléchit, puis tira d’un menu sac de toile quelques loques, trois boutons et, finalement, un carré de papier qu’elle tendit à Sholmès.

— Tiens, je te le donne. C’est tombé de son porte-monnaie.

— Quand ?

— Dimanche, à la messe, comme elle prenait des sous pour la quête.

C’était un numéro de fiacre, le 8279.

M. d’Imblevalle entrait.

Nettement Sholmès l’interrogea sur Mademoiselle.

Le baron eut un haut-le-corps.

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