Page:Leblanc - Arsène Lupin contre Herlock Sholmès (La Dame blonde suivi de La Lampe juive), paru dans Je sais tout, 1906-1907.djvu/6

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il donna le signalement de l’automobile, une limousine 24 chevaux de la maison Peugeon, à carrosserie bleu foncé. À tout hasard, on s’informa auprès de la directrice du Grand-Garage, Mme Bob-Walthour, qui s’est fait une spécialité d’enlèvements par automobile. Le vendredi matin, en effet, elle avait loué pour la journée une limousine Peugeon à une dame blonde qu’elle n’avait du reste point revue.

— Mais le mécanicien ?

— C’était un nommé Ernest, engagé la veille sur la foi d’excellents certificats.

— Il est ici ?

— Non, il a ramené la voiture, et il n’est plus revenu.

On se rendit chez les personnes dont le mécanicien s’était recommandé. Aucune d’elles ne connaissait le nommé Ernest.

Ainsi donc, quelque piste que l’on suivît pour sortir des ténèbres, on aboutissait à d’autres ténèbres, à d’autres énigmes.

Désespéré, M. Gerbois capitula. Une petite annonce parue à l’Écho de France, et que tout le monde commenta, affirma sa soumission pure et simple, sans arrière-pensée.

C’était la victoire, la guerre terminée en quatre fois vingt-quatre heures.



Monsieur gerbois touche le million et ganimard entre en scène


Deux jours après, M. Gerbois traversait la cour du Crédit Foncier. Introduit auprès du gouverneur, il tendit le numéro 514, série 23. Le gouverneur sursauta.

— Ah ! vous l’avez ? il vous a été rendu ?

— Je l’avais égaré, le voici, répondit M. Gerbois. Le reste n’est que racontars et mensonges.

— Vous avez aussi la lettre du commandant ?

— La voici.

— C’est bien. Veuillez laisser ces pièces en dépôt. Il nous est donné quinze jours pour vérification. Je vous préviendrai dès que vous pourrez vous présenter à notre caisse.

Ainsi donc, Arsène Lupin avait eu l’audace de renvoyer à M. Gerbois le numéro 514, série 23 ! La nouvelle fut accueillie avec une admiration stupéfaite. Décidément c’était un beau joueur que celui qui jetait sur la table un atout de cette importance, le précieux billet ! Certes, il ne s’en était dessaisi qu’à bon escient et pour une carte qui rétablissait l’équilibre. Mais si la jeune fille s’échappait ? Si l’on réussissait à reprendre l’otage qu’il détenait ?

La police sentit le point faible de l’ennemi et redoubla d’efforts. Arsène Lupin désarmé, dépouillé par lui-même, pris dans l’engrenage de ses combinaisons, ne touchant pas un traître sou du million convoité… du coup les rieurs passaient dans l’autre camp.

Mais il fallait retrouver Suzanne. Et on ne la retrouvait pas, et pas davantage, elle ne s’échappait !

Soit, disait-on, le point est acquis, Arsène gagne la première manche. Mais le plus difficile est à faire ! Mlle Gerbois est entre ses mains, nous l’accordons, et il ne la remettra que contre cinq cent mille francs. Mais où et comment s’opérera l’échange ? Pour que cet échange s’opère, il faut qu’il y ait rendez-vous, et alors qui empêche M. Gerbois d’avertir la police et, par là, de reprendre sa fille tout en gardant l’argent ?

On interviewa le professeur. Très abattu, désireux de silence, il demeura impénétrable.

— Je n’ai rien à dire, j’ai déposé mon billet, j’attends.

— Et Mlle Gerbois ?

— Les recherches continuent.

— Mais Arsène Lupin vous a écrit ? Quelles sont ses instructions ?

— Je n’ai rien à dire.

On assiégea Me Detinan. Même discrétion.

— M. Lupin est mon client, répondait-il avec une affectation de gravité, vous comprendrez que je sois tenu à la réserve la plus absolue.

Tous ces mystères irritaient la galerie. Évidemment des plans se tramaient dans l’ombre. Arsène Lupin disposait et resserrait les mailles de ses filets, pendant que la police organisait autour de M. Gerbois une surveillance de jour et de nuit. Et l’on examinait les trois seuls dénouements possibles : l’arrestation, le triomphe, ou l’avortement ridicule et piteux.

Le mardi 5 juin, M. Gerbois reçut l’avis du Crédit Foncier.

Le jeudi, à une heure, il prenait le train pour Paris. À deux heures, les mille billets de mille francs lui furent délivrés.

Tandis qu’il les feuilletait, un à un, en tremblant, — cet argent, n’était-ce pas la rançon de Suzanne ? — deux hommes s’entretenaient dans une voiture arrêtée à quelque distance du grand portail. Et l’inspecteur principal Ganimard, le vieux Ganimard, l’ennemi implacable de Lupin, disait au brigadier Folenfant :

— Nous sommes prêts ?

378