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Il marcha de droite et de gauche, comme s’il méditait sa réponse. Puis, à son tour, il posa sa main sur l’épaule de l’Anglais.

— Tout bien pesé, M. Sholmès, j’aime mieux faire mes petites affaires seul.

— Cependant…

— Non, je n’ai besoin de personne.

— Quand Ganimard vous tiendra, ce sera fini. On ne vous lâchera pas.

— Nous verrons bien.

— Et alors ?

— Alors je garde le diamant bleu.

Sholmès tira sa montre.

— Il est trois heures moins dix. À trois heures j’appelle Ganimard.

— Nous avons donc dix minutes devant nous pour nous amuser. Profitons-en, M. Sholmès, et dites-moi comment vous vous êtes procuré mon adresse et le nom de M. Félix Davey.

Tout en surveillant attentivement Lupin dont la bonne humeur l’inquiétait, Sholmès se prêta volontiers à cette petite explication et repartit :

— Votre adresse ? c’est la Dame blonde.

— Clotilde !

— Rappelez-vous… hier matin… quand j’ai voulu l’enlever en automobile, elle a téléphoné à sa couturière.

— En effet.

— Eh bien, j’ai compris plus tard que la couturière, c’était vous. Et, dans le bateau, cette nuit, j’ai fini par retrouver au fond de ma mémoire, les deux derniers chiffres de votre numéro de téléphone… 04. De la sorte, possédant la liste de vos maisons « retouchées », il m’a été facile, dès mon arrivée à Paris, ce matin, à onze heures, de chercher et de découvrir le nom et l’adresse de M. Félix Davey.

— Admirable ! de premier ordre ! Mais ce que je ne saisis pas, c’est que vous ayez pris le train du Havre. Comment avez-vous fait pour vous évader de l’Hirondelle ?

— Je ne me suis pas évadé.

— Cependant…

— Vous aviez donné l’ordre au capitaine de n’arriver à Southampton qu’à une heure du matin. On m’a débarqué à minuit. J’ai donc pu prendre le paquebot du Havre.

— Le capitaine m’aurait trahi ? C’est inadmissible.

— Il ne vous a pas trahi.

— Alors ?

— C’est sa montre.

— Sa montre ?

— Oui, sa montre que j’ai avancée d’une heure.

— Comment ?

— Comme on avance une montre, en tournant le remontoir. Nous causions, assis l’un près de l’autre, je lui racontais des histoires qui l’intéressaient… Ma foi, il ne s’est aperçu de rien.

— Bravo, bravo, le tour est joli, je le retiens. Mais la pendule, qui était accrochée à la cloison de sa cabine ?

— Ah ! la pendule, c’était plus difficile, car j’avais les jambes liées, mais le matelot qui me gardait pendant les absences du capitaine a bien voulu donner un coup de pouce aux aiguilles.

— Lui ? allons donc ! il a consenti ?…

— Oh ! il ignorait l’importance de son acte ! Je lui ai dit qu’il me fallait à tout prix prendre le premier train pour Londres, et… il s’est laissé convaincre…

— Moyennant…

— Moyennant un petit cadeau, que l’excellent homme d’ailleurs a l’intention de vous transmettre loyalement.

— Quel cadeau ?

— Presque rien.

— Mais encore ?

— Le diamant bleu.

— Le diamant bleu !

— Oui, le faux, celui que vous avez substitué au diamant de la comtesse, et qu’elle m’a confié…

Ce fut une explosion de rire, soudaine et tumultueuse. Lupin se pâmait, les yeux mouillés de larmes.

— Dieu, que c’est drôle ! Mon faux diamant repassé au matelot ! Et la montre du capitaine ! Et les aiguilles de la pendule…

Jamais encore Sholmès n’avait senti la lutte aussi violente entre Lupin et lui. Avec son instinct prodigieux, il devinait, sous cette gaîté excessive, une concentration de pensée formidable, comme un ramassement de toutes les facultés.

Peu à peu Lupin s’était rapproché. L’Anglais recula et, distraitement, glissa les doigts dans la poche de son gousset.

— Il est trois heures, M. Lupin.

— Trois heures déjà ? Quel dommage !… On s’amusait tellement !…

— J’attends votre réponse.

— Ma réponse ? Mon Dieu ! que vous êtes exigeant ! Alors c’est la fin de la partie que nous jouons. Et comme enjeu, ma liberté !

— Ou le diamant bleu.

— Soit… Jouez le premier. Que faites-vous ?

— Je marque le roi, dit Sholmès, en jetant un coup de revolver.

— Et moi le point, riposta Arsène en lançant son poing vers l’Anglais.

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