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bras, ce qui causa à Wilson un tel sursaut de douleur que l’infortuné s’évanouit de nouveau… et, se frappant le front, il articula :

— Wilson, j’ai une idée… est-ce que par hasard ?… mais oui, c’est cela… tout s’expliquerait…

Et laissant le vieux camarade en plan, il sauta dans la rue et courut jusqu’au numéro 25.

Au-dessus et à droite de la porte, il y avait, inscrit sur l’une des pierres : Destange, architecte, 1875.

Au 23, même inscription.

Une voiture passait.

— Cocher, avenue Henri-Martin, no 134.

Une véritable angoisse l’envahit au détour de la rue de la Pompe. Avait-il raisonné logiquement ? Était-ce un peu de la vérité qu’il avait entrevu ?

Sur l’une des pierres de l’hôtel, ces mots étaient gravés : Destange, architecte 1874.

Sur les immeubles voisins, même inscription.



Sholmès a fait un grand pas dans la recherche de la vérité


Le contre coup de ces émotions fut tel qu’il s’affaissa quelques minutes au fond de sa voiture, tout frissonnant de joie. Enfin une petite lueur vacillait au milieu des ténèbres !

Dans un bureau de poste, il demanda la communication téléphonique avec le château de Crozon. La comtesse lui répondit elle-même. Le château de Crozon avait été construit en 1877 par Lucien Destange.

Destange ! Lucien Destange ! ce nom ne lui était pas inconnu. Ayant aperçu un cabinet de lecture, il consulta un dictionnaire de biographie moderne, et copia la note consacrée à « Lucien Destange, né en 1840, Grand-Prix de Rome, officier de la Légion d’honneur, auteur d’ouvrages très appréciés sur l’architecture…, etc. »

Il se rendit alors à la pharmacie, et, de là, à la maison de santé où l’on avait transporté Wilson. Sur son lit de torture, le bras emprisonné dans une gouttière, grelotant de fièvre, le vieux camarade divaguait :

— Victoire ! victoire ! s’écria Sholmès, je tiens une extrémité du fil.

— De quel fil ?

— Celui qui me mènera au but ! Je vais marcher sur un terrain solide, où il y aura des empreintes, des indices…

— De la cendre de cigarette ? demanda Wilson, que l’intérêt de la situation ranimait

— Et bien d’autres choses ! Pensez donc, Wilson, j’ai dégagé le lien mystérieux qui unissait entre elles les différentes aventures de la Dame Blonde. Je sais que les trois demeures où elles se sont toutes trois dénouées ont été bâties par le même architecte ! Je sais que le même architecte, en combinant des plans analogues, a rendu possible l’accomplissement de trois actes, en apparence miraculeux, en réalité simples et faciles.

— Quel bonheur !

— Et il était temps, vieux camarade, je commençais à perdre patience… C’est que nous en sommes déjà au quatrième jour.

— Sur dix.

— Oh ! maintenant !…

Il ne tenait pas en place, exubérant et joyeux contre son habitude.

— Non, mais quand je pense que, tantôt, dans la rue, ces gredins-là auraient pu casser mon bras tout aussi bien que le vôtre. Qu’en dites-vous, Wilson ?

Wilson se contenta de frissonner à cette horrible supposition.

— Allons, reprit Sholmès, je vous quitte, Avant tout, il faut que j’échappe à la surveillance de Lupin. En plein jour, à visage découvert, je suis vaincu. Libre et dans l’ombre, j’ai l’avantage, quelles que soient ses forces.

— Ganimard pourrait vous aider.

— Jamais ! Le jour où il me sera permis de dire : Arsène Lupin est là, voici son gîte, et voici comme il faut s’emparer de lui, j’irai relancer Ganimard à l’une des deux adresses qu’il m’a données. D’ici là, j’agis seul.

Il s’approcha du lit, posa sa main sur l’épaule de Wilson — sur l’épaule malade naturellement — et il lui dit avec une grande affection :

— Soignez-vous, mon vieux camarade. Votre rôle consiste désormais à occuper deux ou trois des hommes d’Arsène Lupin, qui attendront vainement, pour retrouver ma trace, que je vienne prendre de vos nouvelles. C’est un rôle de confiance.

— Je vous en remercie, répliqua Wilson, pénétré de gratitude… Mais ne pourriez-vous me donner à boire ?

— Comment donc ! s’écria Sholmès, sans même entendre la prière de son ami.

Et il s’en alla, pendant que le vieux camarade tendait son unique bras vers un verre d’eau inaccessible.

Pour échapper à la surveillance de Lupin et pour pénétrer dans l’hôtel que Lucien Destange habitait avec sa fille Clotilde, au

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