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— Il n’y a rien là que de naturel.

— Peut-être vous semblera-t-il moins naturel que cette personne, au lieu de donner son nom véritable, ait fait l’expédition sous le nom de Rousseau, et que le destinataire, un monsieur Beloux, demeurant à Paris, ait déménagé le soir même du jour où il recevait la boîte, c’est-à-dire la bague.

— Il s’agit peut-être, interrogea le comte, d’un de mes cousins d’Andelle ?

— Il ne s’agit pas de ces messieurs.

— Donc de Mme de Réal ?

— Oui.

La comtesse s’écria, stupéfaite :

— Vous accusez mon amie Mme de Réal ?

Mme de Réal, répliqua posément Ganimard, n’est que votre amie occasionnelle, Madame, et non pas votre amie intime, comme les journaux l’ont imprimé, ce qui a écarté d’elle les soupçons. Vous ne la connaissez que depuis cet hiver. Or, je me fais fort de vous démontrer que tout ce qu’elle vous a raconté sur elle, sur son passé, sur ses relations, est absolument faux, que Mme Blanche de Réal n’existait pas avant de vous avoir rencontrée, et qu’elle n’existe plus à l’heure actuelle.

— Cependant l’adresse qu’elle m’a laissée : hôtel des Rives d’Or ?

— Une lettre que j’ai envoyée à cette adresse m’a été retournée avec la mention : « destinataire inconnu. »

Et Ganimard ajouta :

— Une simple question, Madame : avez-vous écrit à Mme de Réal depuis son départ ?

— Non, il était convenu que j’attendrais une lettre d’elle.

— J’ai bien peur que vous ne l’attendiez toujours. Autre chose : vous connaissiez Mme de Réal au moment de la vente du diamant bleu ?

— Oui.

— Elle assistait à cette vente ?

— Oui, mais de son côté. Nous n’étions pas ensemble.

— Elle vous avait engagée à acheter la bague ?

La comtesse rassembla ses souvenirs.

— Oui… en effet… je crois même que c’est elle qui m’en a parlé la première…

Il y eut un instant de silence, puis M. Dudouis repartit :

— Et après ?

— Après ? fit Ganimard.

— Oui, après… Toute cette histoire est très curieuse, mais en quoi s’applique-t-elle à notre cas ? Si Mme de Réal a pris la bague, pourquoi l’a-t-on retrouvée dans la poudre dentifrice de M. Bleichen ? Que diable ! quand on se donne la peine de dérober le diamant bleu, on le garde. Qu’avez-vous à répondre à cela ?

Ganimard se tut. M. Dudouis insista :

— Voyons, Ganimard, il est certain que cette objection vous a frappé. D’ailleurs, moi qui vous connais à fond, depuis le début de cet entretien j’ai l’impression que vous nous cachez quelque chose. Soyez catégorique. Quelle est votre idée de derrière la tête ?




Décidément Ganimard est hanté par les cheveux d’or d’une certaine dame.


Ganimard se leva, visiblement embarrassé, marcha de droite et de gauche dans la pièce ; puis, s’arrêtant devant M. Dudouis, il débita, d’un ton qui s’affermissait peu à peu :

— C’est vrai, chef, il y a quelque chose… Si j’hésite, c’est qu’on me blague toujours là-dessus… on dit que je vois Arsène Lupin dans tout et au fond de tout. Dieu sait pourtant que, cette fois, l’animal était loin de ma pensée.

— Comment ! s’exclama M. Dudouis, abasourdi, voilà qu’Arsène Lupin a volé le diamant bleu !

— Je ne dis pas cela, je ne le dis pas, balbutia Ganimard décontenancé… Non, ce n’est pas précisément Arsène Lupin…

— Alors, qui ?

— La dame blonde.

— La dame blonde, qu’est-ce que vous me chantez ?

— Oui, chef, s’écria Ganimard, recouvrant subitement son aplomb sous l’influence d’une foi ardente ; oui, l’amie d’Arsène Lupin, la dame blonde qui enlève Mlle Gerbois, la ramène au 25 de la rue Clapeyron et disparaît avec Arsène Lupin, — la dame blonde qui, sous le nom d’Antoinette Bréhat, assassine le général baron d’Hautois, — la dame blonde, enfin, qui, sous le nom de Mme de Réal dérobe la bague au diamant bleu !

— Des preuves, des preuves, exigea M. Dudouis.

— Je n’en ai qu’une, répondit Ganimard en sortant de son portefeuille un papier qu’il déplia ; la voici : ce sont quelques cheveux d’Antoinette Bréhat, arrachés par le baron et recueillis dans la main du mort. J’arrive de Bordeaux, où habite maintenant la fille de M. Gerbois ; elle a reconnu la

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