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ongles qu’un effort convulsif avait entrés dans sa chair, on a découvert une poignée de cheveux blonds, des cheveux de femme d’un blond éclatant, lumineux comme des fils d’or. Et, près du cadavre, se trouvait un petit stylet très fin, à lame d’acier et à manche d’ivoire qui, le sang dont il est encore souillé l’indique suffisamment, fut l’instrument du crime.

« Or, ce stylet appartenait à Mlle B… qui s’en servait de façon constante pour découper et marquer les pages du livre en lecture. En outre, les cheveux de Mlle B… sont, paraît-il, de ce blond métallique à reflets d’or. Le doute ne semble donc pas possible, quant à l’auteur de l’assassinat.

« Les motifs du crime sont plus obscurs. Le portefeuille du baron n’ayant pas été touché, on pourrait supposer que le vol est étranger à l’affaire. Mais le nom même du général baron d’Hautois rend cette hypothèse inadmissible. Qu’on se rappelle, en effet, l’histoire ou plutôt, — puisque la série de ses aventures à travers le monde ne paraît pas terminée, — qu’on se rappelle la première histoire du diamant bleu, — le diamant bleu, joyau de la couronne royale de France, donné par S. A. R. le prince de X… à Mme de B… et, à la mort de celle-ci, racheté par le baron d’Hautois en mémoire de la brillante mondaine qu’il avait passionnément admirée.

« Le diamant bleu aux mains du baron, la clef du mystère n’est-elle pas là ? Et si, comme il est tout permis de le croire, le diamant bleu ne se retrouve point, ne peut-on dire que le crime de la rue Saint-Dominique est expliqué ? »

Il ne l’était nullement, et ces extraits d’un journal du lendemain montrent bien l’incertitude des résultats obtenus.

« L’énigme se complique. Trois points principalement déconcertent la police et le parquet. D’abord, quel est le motif du crime ? Contrairement à ce qui a été dit, le diamant bleu n’a pas été volé ! Il était, il est encore au doigt, à l’index du baron d’Hautois, le chaton retourné en dedans, ce qui a pu faire croire qu’il n’y avait là qu’un simple agneau d’or. Mais Antoinette Bréhat, — c’est le nom de la demoiselle de compagnie, — Antoinette Bréhat connaissait évidemment l’existence de la bague. Alors, pourquoi ne l’a-t-elle pas prise ? Doit-on supposer qu’en voyant le baron appuyer sur la sonnette électrique elle ait perdu la tête et se soit enfuie sans penser au diamant bleu ?

« Cette version n’est guère probable, car, entre le signal de la sonnerie et l’instant où le domestique a pénétré dans la chambre, il s’est écoulé tout au plus trois minutes. Or, à ce moment, le baron gisait sur le tapis, inanimé, et loin du bouton d’appel. Il faudrait donc, ou bien que M. d’Hautois eût sonné pendant la lutte, ce qui est impossible, vu que le signal fut long, ininterrompu, et nullement saccadé, — ou bien qu’il eût sonné avant, ce qui est également impossible, vu que la lutte, l’assassinat, l’agonie et la fuite n’ont pu se dérouler dans ce court espace de trois minutes.

« Par conséquent, seule, Antoinette Bréhat était en mesure de sonner. Mais alors, — et c’est là le second problème, — qui l’empêchait, ayant le temps de sonner, de prendre le temps d’enlever le bijou du doigt de sa victime. ? Et pourquoi d’ailleurs a-t-elle sonné ?

« Enfin, troisièmement, par où s’est-elle enfuie ? Le cocher affirme que, quand il s’est rendu chez le commissaire, il a dû tirer le verrou qui barrait la porte du vestibule, et décrocher la chaîne de sûreté tendue d’un battant à l’autre. En outre, toute la nuit du crime, il a plu. Pourtant, dehors, sur le sable mouillé du petit jardin qui précède l’hôtel, aucun vestige de pas.

« Dans ces conditions, il est difficile de prévoir la réponse que pourra faire la police aux différents problèmes qui lui sont posés. L’unique certitude, c’est que le crime a été commis par Antoinette Bréhat. Mais qui est cette Antoinette Bréhat ? Il y a une dizaine de jours, elle se présentait à la sœur Auguste, qui, sur la seule foi de sa bonne mine et de ses propos réservés, l’engageait au service du baron. De certificats, la sœur Auguste l’avoue, il ne lui en fut pas réclamé.

« Dans la chambre qu’elle occupait, on n’a trouvé que du linge marqué aux initiales A. B., deux robes et un chapeau achetés au Louvre, beaucoup de romans, la plupart français, quelques-uns anglais, allemands ou espagnols, et non traduits, — mais point de papiers. »

Telle est, brièvement racontée, l’affaire de l’avenue Henri-Martin. Je n’entrerai pas dans de plus amples détails, pour cette excellente raison qu’elle n’en comporte pas un de plus. Si compliquées qu’elles soient, les énigmes proposées dans ces diverses aventures sont très précises. Elles se composent de faits inexplicables, mais de faits peu nombreux. Les éléments du procès

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