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Et c’est pourquoi son opinion de la première heure ne variait pas.

— Du moment qu’il n’y a aucune trace de leur fuite, c’est qu’ils sont là !

Peut-être, au fond de sa conscience, était-il moins convaincu. Mais il ne voulait pas se l’avouer. Non, mille fois non, un homme et une femme ne s’évanouissent pas ainsi que les mauvais génies des contes d’enfants. Et sans perdre courage, il continuait ses fouilles et ses investigations comme s’il avait espéré les découvrir, dissimulés en quelque retraite impénétrable, incorporés aux pierres de la maison.

Mais le treizième jour, revenant à la Préfecture de police, il rencontra sur le quai des Orfèvres M. Dudouis, qui montait en voiture et qui l’appela :

— Vite, Ganimard, assez de bêtises et de temps perdu. Laissez-moi tranquille avec votre Lupin et votre dame blonde, et travaillons d’un autre côté. Il y a de l’ouvrage. Cocher, 134, avenue Henri-Martin.

— Ah ! dit l’inspecteur, c’est pour l’assassinat de cette nuit ? Folenfant m’en a parlé. Ça n’a pas l’air bien intéressant.

— Beaucoup moins évidemment que vos histoires de Lupin. Mais que ça vous intéresse ou non, l’assassinat du baron d’Hautois a quelque importance.

Ils arrivèrent à l’hôtel qu’habitait le baron. Le juge d’instruction était en train de reconstituer la scène du crime, et il y avait là beaucoup de personnes, des agents, deux médecins, des domestiques qui remplissaient la chambre et le couloir.

Contrairement à ses habitudes de bon policier que passionne et que stimule le premier examen d’une affaire encore neuve, Ganimard était distrait. L’esprit toujours en proie à la même obsession, il allait et venait au hasard, écoutait sans entendre, regardait sans voir, lorsque, soudain, il avisa, sur une table où l’on avait déposé les pièces à conviction, quelque chose qui le frappa vivement. C’était une poignée de cheveux, des cheveux blonds, mais d’un blond particulier, étincelant comme de l’or. Il demanda à l’un de ses collègues, l’inspecteur Dieuzy :

— Où a-t-on pris cela ?

— Dans la main du mort.

— Dans la main du mort, ces cheveux de femme ! C’est donc une femme qui a tué le baron.

— Oui, la demoiselle de compagnie, la lectrice.

— Elle est arrêtée ?

— Non, elle a disparu.

— Comment ?

— On ne sait pas.

— Mais il faut savoir, s’écria Ganimard, très ému.

Et les yeux ouverts cette fois, les oreilles attentives, il se mit à étudier l’affaire pour son compte.



Où il est question d’un diamant bleu, d’un stylet d’acier et de cheveux d’or.


Ce crime, on s’en souvient puisqu’il est tout récent, est un des drames les plus mystérieux de notre époque. J’en emprunte le récit aux journaux.

« Le général baron d’Hautois, ambassadeur à Berlin sous le second Empire, a été assassiné cette nuit dans l’hôtel qu’il occupait depuis la mort de son frère, et que celui-ci lui avait légué, au n°134 de l’avenue Henri-Martin.

« Affaibli par l’âge et la maladie, il vivait dans la retraite la plus absolue, sous la garde d’une religieuse, la sœur Auguste, et d’une demoiselle de compagnie, Mlle B… plus spécialement engagée comme lectrice.

« Hier soir, en l’absence de la sœur Auguste, Mlle B… s’offrit à passer la nuit sur la chaise-longue du cabinet de toilette. À dix heures, le domestique vint prendre les ordres et se retira, laissant son maître avec Mlle B… qui, à ce moment, lisait à haute voix.

« Ce domestique dormait à peine, lorsque, un peu avant minuit, il fut réveillé par le bruit de la sonnette électrique qui relie sa chambre à celle de M. d’Hautois. Il descendit en hâte et poussa vivement la porte. Au milieu de la pièce, entre la table et l’armoire à glace, gisait le corps de son maître. Mlle B… n’était plus là.

« Il donna aussitôt l’alarme. Le cocher courut chez le commissaire du 16e arrondissement, M. Chevalot, qui, sans plus tarder, fit les premières constatations.

« Une seule blessure avait occasionné la mort, une blessure au cou par où le sang avait giclé violemment, mouchetant de taches noires les livres qui encombraient la table. Mais auparavant une lutte terrible avait dû se produire, comme le montrent le désordre de la pièce, les chaises renversées, un grand flambeau de cristal cassé en mille morceaux. Du reste, le visage du baron conservait une expression d’épouvante folle, et son corps était crispé, recroquevillé sur lui-même.

« Au creux de sa main, à la pointe de ses

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