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ARSÈNE LUPIN

Sonia, bas, à Germaine. — Faut-il leur servir du thé ?

Germaine, bas, à Sonia. — Ah ! non, par exemple. (À Charolais.) Vous désirez, messieurs ?

Charolais père. — Nous avons demandé monsieur votre père, on nous a dit qu’il n’y avait que mademoiselle sa fille. Nous n’avons pas résisté au plaisir…

Tous deux s’assoient. Germaine et Sonia se regardent interloquées.

Charolais fils, à son père. — Quel beau château, papa !

Charolais père. — Oui, petit, c’est un beau château. (Un temps. À Germaine et Sonia.) C’est un bien beau château, mesdemoiselles.

Germaine. — Pardon, messieurs, mais que désirez-vous ?

Charolais père. — Voilà. Nous avons vu dans l’Éclaireur de Rennes que M. Gournay-Martin veut se défaire d’une automobile. Mon fils me dit toujours : « Papa, je voudrais une auto qui bouffe les côtes », comme qui dirait une soixante-chevaux.

Germaine. — Nous avons une soixante-chevaux, mais elle n’est pas à vendre ; mon père s’en est même servi aujourd’hui.

Charolais père. — C’est peut-être l’auto que nous avons vue devant les communs.

Germaine. — Non, celle-là est une trente-quarante, elle est à moi. Mais si monsieur votre fils, comme vous dites, aime bouffer les côtes, nous avons une cent-chevaux dont mon père désire se défaire. Tenez, Sonia, la photographie doit être là.

Toutes deux cherchent sur la table. Pendant ce temps, Charolais fils s’est emparé d’une petite statuette.

Charolais père, à mi-voix. — Lâche ça, imbécile ! (Germaine se retourne et tend la photo.) Ah ! la voilà. Ah ! ah ! Une cent-chevaux. Eh bien, nous pouvons discuter cela. Quel serait votre dernier prix ?

Germaine. — Je ne m’occupe pas du tout de ces questions-là, monsieur. Revenez tout à l’heure, mon père sera rentré de Rennes, vous vous arrangerez avec lui.

Charolais père. — Ah !… Alors, nous reviendrons tout à l’heure. (Saluant.) Mesdemoiselles, mes civilités.

Ils sortent avec des saluts profonds.

Germaine. — Eh bien ! En voilà des types ! Enfin, s’ils achètent la cent-chevaux, papa sera rudement content… C’est drôle que Jacques ne soit pas encore là. Il m’a dit qu’il serait ici entre quatre heures et demie et cinq heures.

Sonia. — Les Dubuit ne sont pas venus non plus, mais il n’est pas encore cinq heures.

Germaine. — Oui, au fait, les Dubuit ne sont pas venus non plus. (À Sonia.) Eh bien, qu’est-ce que vous faites ? Complétez toujours la liste des adresses en attendant.

Sonia. — C’est presque fini.

Germaine. — Presque n’est pas tout à fait. (Regardant la pendule.) Cinq heures moins cinq. Jacques en retard ! Ce sera la première fois.

Sonia, tout en écrivant. — Le duc a peut-être poussé jusqu’au château de Relzières pour voir son cousin, bien qu’au fond je ne croie pas que le duc aime beaucoup M. de Relzières. Ils ont l’air de se détester.

Germaine. — Ah ! Vous l’avez remarqué ? Maintenant, du côté de Jacques… il est si indifférent ! Pourtant il y a trois jours, quand nous avons été voir les Relzières, j’ai surpris Paul et le duc qui se querellaient.

Sonia, inquiète. — Vrai ?

Germaine. — Oui, ils se sont même quittés très drôlement.

Sonia, vivement. — Mais ils se sont donné la main ?

Germaine, réfléchissant. — Tiens ! non.

Sonia, s’effarant. — Non ! mais alors !

Germaine. — Alors quoi ?

Sonia. — Le duel… le duel de M. de Relzières…

Germaine. — Oh ! vous croyez ?

Sonia. — Je ne sais pas, mais ce que vous me dites… L’attitude du duc ce matin… Cette promenade en voiture.

Germaine, étonnée. — Mais… Mais oui… C’est très possible… c’est même certain…

Sonia, très agitée. — C’est horrible… Pensez-vous, mademoiselle… S’il arrivait quelque chose… Si votre fiancé…

Germaine, plus calme. — Ainsi, ce serait pour moi que le duc se battrait ?

Sonia. — Et avec un adversaire de première force, vous l’avez dit, imbattable ! (Elle s’est dirigée vers la terrasse.) Que faire ?… Et l’on ne peut rien… (Brusquement.) Ah ! Mademoiselle !

Germaine. — Quoi ?

Sonia. — Un cavalier, là-bas…

Germaine, accourant. — Oui… il galope…

Sonia, battant des mains. — C’est lui !… C’est lui !…

Germaine. — Vous croyez ?

Sonia. — J’en suis sûre ! C’est lui !…

Germaine. — Il arrive juste pour le thé ! Il sait que je n’aime pas attendre. Cinq heures moins une minute… Il m’a dit : à cinq heures tapant je serai là, et il sera là.

Sonia. — Impossible, mademoiselle, il faut qu’il fasse tout le tour du parc. Il n’y a pas de route directe… La rivière est là.

Germaine. — Pourtant, il vient en droite ligne.

Sonia, inquiète. — Non, non, ce n’est pas possible.

Germaine. — Il traverse la pelouse. Tenez, il va sauter… Regardez-le, Sonia.

Sonia. — Mais c’est affreux. (Se cachant les yeux.) Ah !

Germaine, criant. — Bravo, ça y est ! Il a sauté ! Bravo, Jacques ! C’est un cheval de sept mille francs ! Vite, une tasse de thé… Il était admirable en sautant. Ah ! un duc !… voyez-vous ! Vous étiez là quand il m’a donné son dernier cadeau… ce pendentif entouré de perles ?

Sonia, regardant le pendentif dans son écrin. — Oui, merveilleux.

Le Duc, entrant, et gaiement. — Si c’est pour moi, beaucoup de thé, très peu de crème et trois morceaux de sucre. (Regardant sa montre.) Cinq heures ! Ça va bien.


Scène III

GERMAINE, SONIA, LE DUC

Germaine. — Vous vous êtes battu ?

Le Duc. — Ah ! vous saviez ?…

Germaine. — Pourquoi vous êtes-vous battu ?

Sonia. — Vous n’êtes pas blessé, monsieur le duc ?

Germaine. — Sonia, je vous en prie, les adresses. (Au duc.) C’est pour moi ?