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L’ILLUSTRATION THÉÂTRALE

d’avoir un château historique et, enfin, si papa n’avait pas souffert de rhumatismes, je ne m’appellerais pas, dans un mois, la duchesse de Charmerace.

Jeanne. — Quels rapports ont les rhumatismes de votre père ?…

Germaine. — Un rapport direct. Papa craignait que ce château ne fût humide. Pour prouver à papa qu’il n’avait rien à craindre, Jacques, en grand seigneur, lui a offert l’hospitalité, ici, à Charmerace, pendant trois semaines ; par miracle, papa s’y est guéri de ses rhumatismes. Jacques est tombé amoureux de moi ; papa s’est décidé à acheter le château, et moi, j’ai demandé la main de Jacques.

Marie. — Mais vous aviez seize ans ?

Germaine. — Oui, seize ans, et Jacques partait pour le pôle sud.

Jeanne. — Alors ?

Germaine. — Alors, comme papa trouvait que j’étais beaucoup trop jeune pour me marier, j’ai promis à Jacques d’attendre son retour. Seulement, entre nous, si j’avais su qu’il devait rester si longtemps au pôle sud…

Marie. — C’est vrai. Partir pour trois ans et rester sept ans là-bas.

Jeanne. — Toute votre belle jeunesse…

Germaine, piquée. — Merci…

Jeanne. — Dame ! vous avez vingt-trois ans, c’est d’ailleurs la fleur de l’âge.

Germaine. — Vingt-trois ans à peu près… Enfin, j’ai eu tous les malheurs, le duc est tombé malade, on l’a soigné à Montevideo. Une fois bien portant, comme personne n’est plus entêté que lui, il a voulu reprendre son expédition, il est reparti pour deux ans, et, brusquement, plus de nouvelles, plus aucune nouvelle. Vous savez que pendant six mois nous l’avons cru mort ?

Sonia. — Mort ! Mais vous avez dû être très malheureuse !

Germaine. — Ah ! ne m’en parlez pas. Je n’osais plus mettre une robe claire.

Jeanne, à Marie. — C’est un rien.

Germaine. — Heureusement, un beau jour, les lettres ont réapparu : il y a trois mois un télégramme a annoncé son retour et, enfin, depuis deux mois, le duc est revenu.

Jeanne, à part, imitant le ton affecté de Germaine. — Le duc !

Marie. — C’est égal. Attendre un fiancé pendant près de sept ans, quelle fidélité !

Jeanne. — L’influence du château.

Germaine. — Comment ?

Jeanne. — Dame ! Posséder le château de Charmerace, et s’appeler Mlle Gournay-Martin, ça n’est pas la peine.

Marie, sur un ton de plaisanterie. — N’empêche que, d’impatience, Mlle Germaine, pendant ces sept ans, a failli se fiancer avec un autre.

Sonia se retourne.

Jeanne, sur le même ton. — Qui n’était que baron.

Sonia. — Comment ! C’est vrai, mademoiselle.

Jeanne. — Vous ne saviez pas, mademoiselle Sonia ? Mais oui, avec le cousin du duc, précisément, M. de Relzières. Baronne de Relzières, c’était moins bien.

Sonia. — Ah !

Germaine. — Mais, étant le cousin et le seul héritier du duc, Relzières aurait relevé le titre et les armes, et j’aurais été tout de même duchesse, mes petites.

Jeanne. — Évidemment, c’était l’important. Sur ce, je me sauve, ma chérie.

Germaine. — Déjà ?

Marie, avec emphase. — Oui, nous avons promis à la vicomtesse de Grosjean de lui faire un bout de visite. (Négligemment.) Vous connaissez la vicomtesse de Grosjean ?

Germaine. — De nom. Papa a connu son mari à la Bourse quand il s’appelait encore simplement Grosjean. Papa, lui, a préféré garder son nom intact.

Jeanne, sortant, à Marie. — Intact. C’est une façon de parler. Alors, à Paris ? Vous partez toujours demain ?…

Germaine. — Oui, demain.

Marie, l’embrassant. — À Paris, n’est-ce pas ?

Germaine. — Oui, à Paris.

Sortent les deux jeunes filles.

Alfred, entrant. — Mademoiselle, il y a là deux messieurs : ils ont insisté pour voir mademoiselle.

Germaine. — Ah ! oui, MM. Dubuit.

Alfred. — Je ne sais pas, mademoiselle.

Germaine. — Un monsieur d’un certain âge et un plus jeune ?

Alfred. — C’est cela même, mademoiselle.

Germaine. — Faites entrer.

Alfred. — Mademoiselle n’a pas d’ordres pour Victoire ou pour les concierges de Paris ?

Germaine. — Non. Vous partez tout à l’heure ?

Alfred. — Oui, mademoiselle, tous les domestiques… par le train de sept heures. Et il est bien de ce pays-ci : on n’est rendu à Paris qu’à neuf heures du matin.

Germaine. — Tout est emballé ?

Alfred. — Tout. La charrette a déjà conduit les gros bagages à la gare. Ces messieurs et ces demoiselles n’auront plus qu’à se préoccuper de leurs valises.

Germaine, à la porte. — Parfait. Faites entrer MM. Dubuit. (Il sort.) Oh !

Sonia. — Quoi ?

Germaine. — Un des carreaux de la baie a été enlevé juste à la hauteur de l’espagnolette… on croirait qu’il a été coupé.

Sonia. — Tiens ! Oui, juste à la hauteur de l’espagnolette.

Germaine. — Est-ce que vous vous en étiez aperçue ?

Sonia. — Non ! Mais il doit y avoir des morceaux par terre, et… (À Germaine.) Mademoiselle, deux messieurs.

Germaine. — Ah ! Bonjour, messieurs Dub… Hein ? (Elle aperçoit devant elle Charolais et son fils. Un silence embarrassé.) Pardon, messieurs, mais, qui êtes vous ?


Scène II

Les mêmes, CHAROLAIS père, CHAROLAIS, premier fils.

Charolais père, avec une bonhomie souriante. — Monsieur Charolais… Monsieur Charolais… ancien brasseur, chevalier de la Légion d’honneur, propriétaire à Rennes. Mon fils, un jeune ingénieur. (Le fils salue.) Nous venons de déjeuner ici, à côté, à la ferme de Kerlor : nous sommes arrivés de Rennes ce matin : nous sommes venus tout exprès…