Page:Leblanc - Arsène Lupin, nouvelles aventures d'après les romans, 1909.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Arsène Lupin à l’AthénéeSuite de la deuxième page de la couverture.

en la réalité d’un jeune voleur, duc à ses moments perdus, qui, tout en rompant et en vidant les tiroirs, ne néglige pas de cambrioler la pudeur des alcôves. Les vieilles dames aussi, et les hommes affairés, et les belles des thés de cinq heures, tous, toutes, songent à Arsène Lupin avec une sorte d’affection rieuse, d’admiration tendrement effrayée. Mais ce sentiment-là n’est pas le moins du monde nouveau. Que Scaramouche escroque Pantalon, que Scapin berne Géronte, que Guignol bafoue les gendarmes, pende le commissaire, que Robert Macaire ruine Gogo et s’évade au balcon, que l’illustre Dupin triomphe du préfet de police, ce sont plaisirs de tous les temps, à cause de la satisfaction qu’on a de la ruse, l’adresse, la petite finesse, vaincre l’imbécillité énorme et robuste ; Arsène Lupin est une manière de David-gavroche, gamin révolutionnaire, qui vise au front et ne manque pas, non sans un pied de nez, la société-Goliath. De là sa popularité universelle. »


M. Robert de Flers soulignait, dans le Figaro, une des particularités curieuses de cette brillante réussite succédant à celles de Raffles et de Sherlock Holmès :

« Nous assistons, depuis quelques années, à un fait très curieux : la réhabilitation du voleur. La morale en souffre peut-être, mais n’est-t-elle pas habitué à souffrir ? Cherchons un peu la raison de cet état d’esprit du spectateur.

« Nous avons cessé de considérer le vol comme un crime, ou même comme un délit. Nous préférons le tenir pour un tour d’adresse auquel, lorsqu’il est prestement exécuté, il est de bon goût d’applaudir. De cette façon, la carrière de voleur devient une carrière d’artiste, une carrière presque honorable, puisqu’elle est libérale et indépendante, que la protection ne vous y aide point, et qu’on ne vous y demande pas de manifester vos opinions politiques. Thomas de Quincey traita « de l’assassinat considéré comme un des beaux-arts ». Pourquoi donc le cambriolage n’en serait-il pas un autre ? Il y faut de l’invention, de l’exécution, de la maîtrise, une absence de préjugés à laquelle ne saurait parvenir un esprit ordinaire, toutes qualités fort difficiles à conquérir e très flatteuses à posséder. À une époque où les énergies ne trouvent plus à s’employer, où les guerres héroïques sont impossibles et où le scepticisme a vite fait e décourager les moindres tentatives de croisades de toutes sortes, les chevaliers d’aventure deviennent un peu forcément des chevaliers d’industrie, mais, dans l’esprit du public, ce sont quand même des chevaliers. Et, ceci n’est nullement exagéré. Nous le constatons non seulement au théâtre, mais dans la réalité : il y a peu de mois encore, le « capitaine » de Koepenfk en Allemagne et Lemoine à Paris étaient accompagnés de notre sympathie amusée. Arsène Lupin bénéficiera pendant de longs soirs de ces bienveillantes dispositions. »


M. Camille Le Senne, dans le Siècle, écrivait aussi :

« Arsène Lupin comptera parmi les grands succès de l’Athénée. C’est une pièce amusante à l’extrême, débordante de fantaisie, plus fertile en péripéties que dix volumes de Gaboriau et, en même temps plus farcie de trucs qu’un manuel de Robert Houdin, — bref une délicieuse féérie policière. Or, il faut aimer la féerie, car elle est bonne, elle est reposante, elle arrache le spectateur au voisinage des bassesses et des tristesses humaines, et elle mérite toute notre reconnaissance quand elle vient rajeunir un genre théâtral usagé par les mélodramaturges du boulevard en l’enveloppant d’élégance et en le pailletant de fantaisie… Il est évident que toute cette histoire serait affreusement immorale et tomberait sous le coup des lois qui défendent l’excitation aux « faits qualifiés crimes ou délits » s’il y avait dans ces quatre tableaux autre chose qu’une fantaisie débridée. Mais, c’est du Guignol féérique, un Raffles plus dégagé de complication dramatiques, un Sherlock Holmès moins encombré d’accessoires de l’ancien romantisme boulevardier. On a donc pu goûter sans honte la platée de péripéties extraordinaires tirées par M. Francis de Croisset du roman de M. Maurice Leblanc, et le public l’applaudira sans remords au cours de nombreuses soirées. »


Tandis que M. Paul Sonday semblait au contraire s’alarmer, dans l’Éclair, de cet agréable divertissement !

« Dans mon enfance, nous rêvions d’être explorateurs et coureurs des bois, comme les personnages de Jules Verne et de Fenimore Cooper. Il n’y avait pas de mal. Mais que deviendrait une jeunesse qui, séduite par ces histoires enchanteresses de gentlemen cambrioleurs, aspirerait à imiter les exploits d’un Arsène Lupin ? »

À quoi M. J. Ernest-Charles semblait directement — et à peine paradoxalement — répliquer, dans l’Opinion :

« Pour moi, je crois bien que Francis de Croisset et Maurice Leblanc ont fait une œuvre morale. Systématiquement, ils ont transformé leur Arsène Lupin en un être imaginaire. Personne, en effet, n’admettra qu’il serait un homme comme les autres hommes, cet Arsène Lupin qui vole, pour le plaisir, des richesses immenses dont son mariage le rendrait propriétaire le lendemain. C’est un être d’exception, avouez-le. Et tous les moyens dont il use sont des moyens exceptionnels aussi. Le moindre de ses actes est mystérieux. Et il accomplit chacun d’eux par des procédés également mystérieux… Si quelqu’un se sent la moindre envie de devenir voleur, afin de s’enrichir, il n’a qu’à aller à l’Athénée, il observera les faits et gestes d’Arsène Lupin. Il se rendra compte tout de suite que la profession de voleur, pour être rémunératrice, exige des facultés auxquelles les commun des mortels ne peut prétendre. Le sentiment de son infériorité le condamnera à l’honnêteté, et, plutôt que de se faire voleur, il se fera notaire ou banquier. »


Les titres de Raffles et de Sherlock Holmès ont été déjà prononcés deux ou trois fois au cours de cette revue de la presse. M. Nozère estime pourtant, dans Gil Blas, que cette œuvre « adroite, attachante, spirituelle », se distingue des deux pièces anglo-américaines plus haut citées parce qu’elle est précisément « très française » :

« Sans doute MM. Francis de Croisset et Maurice Leblanc ont un peu sacrifié au goût du gros public en imaginant l’amour qui unit Lupin à *Sonia. Mais ils ont souvent souri eux-mêmes de cette histoire sentimentale. Ils ont soigneusement écarté de leur œuvre tout ce qui pourrait blesser de chastes oreilles. Ils ont songé aux jeunes filles qui viendront les applaudir. MM. de Croisset et Maurice Leblanc ont fait preuve d’ingéniosité et de délicatesse. Ils ont été acclamés. »

Enfin, M. François de Nion se félicite également, dans l’Écho de Paris, de ce que ces quatre actes aient entre autres agréments celui d’être « parfaitement convenables et de pouvoir être entendus par de chastes oreilles ».


M. André Brulé, dans le rôle d’Arsène Lupin, duc de Charmerace, s’est montré égal à lui-même, et c’est dire qu’il a été supérieur, — au point même qu’on ne saurait choisir entre l’élégance impertinente, la désinvolture adroite dont il a d’abord fait preuve en duc de Charmerace, et le souple cynisme, la violence habile, qu’il a soudainement déployés en Arsène Lupin. Son partenaire M. Escoffier, venu de l’Odéon, lui a opposé, en Guerchard policier, un digne adversaire, énergique sous son air bonhomme et laissant éclater sous sa douceur voulue, sous sa politesse presque exagérée, de brusques rudesses. MM. André Lefaur et Bullier, le premier en juge d’instruction important, solennel, convaincu, le second en propriétaire affolé, furieux, ahuri, ont été deux parfaits grotesques.

Mlle Laurence Duluc a bien exprimé tout ce qu’a de charmant, de souriant, de résigné et d’ému, la petite personne de Sonia Kritchnoff ; tandis que Mlle Jeanne Rosny étalait, en Germaine, une distinction bruyante de parvenue et que Mlle Germaine Ety nous montrait, en Victoire, une bonne nourrice affectueuse, un peu grondeuse, jeune encore, sous ses cheveux blancs. Enfin, n’oublions pas le couple typique de concierges qu’ont réalisé Mme Ael et M. Cousin.


Gaston Sorbets.