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ARSÈNE LUPIN

moi que vous allez être mis en prison ? Ah ! mon Dieu, que je suis heureuse !

Elle se jette sur lui et l’embrasse.

Guerchard, avec un grand geste. — Et voilà ce que les femmes appellent le repentir.

Tout en surveillant Lupin, il passe dans l’antichambre donner des ordres.

Lupin, à Sonia, transporté de joie comme un enfant. — Ah ! vois-tu, laisse-le dire, c’est inoubliable, ça… malgré tout, et sachant que tu m’aimes assez pour m’aimer encore… je ne sais pas si je suis touché de la grâce, je ne sais pas si j’ai des remords, je ne sais pas si c’est ça qu’on peut appeler du repentir, mais je dois être changé, je dois être meilleur, je dois être devenu honnête… Ah ! je suis trop heureux !

Guerchard, revenant. — En voilà assez.

Lupin. — Ah ! Guerchard, je te dois, après tant d’autres, la meilleure minute de ma vie.

Boursin, entrant, essoufflé. — Patron !

Guerchard, à part. — Quoi ?

Boursin. — L’issue secrète… on l’a trouvée… c’est par les caves…

Guerchard. — Ah ! cette fois, ça y est, nous le tenons.

Boursin sort.

Sonia, à part. — Mais alors il va t’emmener, nous allons être séparés.

Lupin. — Ah ! maintenant, moi, ça m’est égal.

Sonia. — Oui, mais moi pas.

Lupin, nettement. — Va-t’en, sois tranquille, je n’irai pas en prison.

Guerchard. — Allons, la petite, il faut filer.

Lupin. — Va-t’en, Sonia ! va-t’en. (Elle s’éloigne. Lupin bondit. Guerchard se précipite, mais Lupin se baisse.) Elle avait laissé tomber son mouchoir.

Il le lui rend. Elle sort. Alors, tranquillement, Lupin va s’étendre sur le canapé.

Guerchard. — Allons, lève-toi. Voilà qui va te faire retomber de ton rêve, la voiture cellulaire est en bas.

Lupin. — Tu as des mots vraiment malheureux.

Guerchard. — Tu ne veux pas sortir avec moi ! tu ne veux pas sortir !

Lupin. — Si.

Guerchard. — Alors, viens.

Lupin. — Ah ! non, c’est trop tôt. (Il se recouche.) Je déjeune à l’ambassade d’Angleterre.

Guerchard. — Ah ! Prends garde… les rôles sont changés, c’est moi qui me fous de toi, maintenant. Tu te raccroches à une dernière branche, c’est pas la peine. Tous tes trucs, je les connais, tu entends, voyou, je les connais.

Lupin. — Tu les connais ? (Il se lève.) Fatalité ! (Il fait deux ou trois gestes, dépasse les menottes et les jette à terre.) Et celui-là, est-ce que tu le connais. Je te l’apprendrai un jour que tu m’inviteras à déjeuner.

Guerchard, furieux. — Allons, en voilà assez… Boursin ! Dieusy !

Lupin, l’arrête, et d’un ton saccadé. — Guerchard, écoute, et je ne blague plus. Si Sonia, tout à l’heure, avait eu un geste, une parole de mépris pour moi, eh bien, j’aurais cédé… à moitié seulement, car, plutôt que de tomber entre tes pattes triomphantes, je me faisais sauter le caisson ! J’ai maintenant à choisir entre le bonheur, la vie avec Sonia ou la prison. Eh bien, j’ai choisi : je vivrai heureux avec elle, ou bien, mon petit Guerchard, je mourrai avec toi. Maintenant, fais entrer tes hommes, je les attends !

Guerchard. — Allons-y !

Il court vers l’antichambre.

Lupin. — Je crois que ça va barder !

Guerchard. — Tu parles !

Lupin. — Charles…

Tandis que Guerchard est dans l’antichambre, il saute vers la boite et en sort une bombe. En même temps, il a pressé le bouton. La bibliothèque glisse, les volets se lèvent et l’ascenseur apparait.

Guerchard, rentrant avec ses hommes. — Ligotez-le !

Lupin, terrible. — Arrière vous autres ! (Tous reculent. Tumulte.) Les mains en l’air !… Vous connaissez ça, les enfants ?… Une bombe ! C’est mon passage à tabac, moi. Eh bien, venez donc me ligoter, maintenant !… (À Guerchard.) Toi aussi les mains en l’air !

Guerchard. — Poules mouillées ! Vous croyez donc qu’il oserait…

Lupin. — Viens-y voir !

Guerchard. — Oui donc !

Il s’avance.

Tous, se jetant sur lui, terrifiés. — Patron ! vous êtes fou ! Regardez ses yeux… il est enragé !

Lupin, tout en gardant la bombe à la main. — Nom de nom que vous êtes laids ! Vous avez des gueules de forçats ! (Mouvement de Guerchard.) Hep ! (Il lève le bras. Tous reculent.) Dommage qu’il y ait pas un photographe. Et maintenant, voleur, rends-moi mes papiers.

Guerchard. — Jamais !

Boursin. — Patron, prenez garde.

Lupin. — Tu veux donc les faire crever tous ?… Regardez, les enfants, si j’ai l’air de blaguer.

Dieusy. — Faut céder, patron.

Boursin. — Faut céder.

Ils entourent tous Guerchard.

Guerchard. — Jamais !

Boursin. — Allons ! patron, allons, donnez-les moi.

Il lui arrache le portefeuille.

Lupin. — Sur la table… Bien. Et maintenant, gare la bombe !…

Mouvement de panique. Il saute dans l’ascenseur.

Boursin, à Guerchard. — Il va filer !

Guerchard. — L’issue est gardée !

Les volets descendent. Tous se précipitent. Trop tard. Ils se heurtent aux volets. Affolement. Ils courent de tous côtés.

Guerchard, essayant d’enfoncer les volets. — La porte ! il faut l’ouvrir ! (À Dieusy et aux autres hommes.) Vous autres, dans la rue… à l’issue secrète ! (Les hommes sortent précipitamment par la porte de droite.) La porte, c’est une question de minutes. Il doit lutter avec nos hommes dans la rue !

À ce moment, les volets remontent d’eux-mêmes. Guerchard et Boursin se précipitent dans l’ascenseur. Guerchard pousse un bouton, l’ascenseur s’élève. Affolement de Guerchard.

Guerchard. — Mais nous montons, nom de nom ! nous montons ! Nom de nom ! Le bouton d’arrêt ! Le bouton d’arrêt, nom de nom !

L’ascenseur monte lentement. On entend les cris de Guerchard. Lupin apparait dans un second compartiment inférieur, identique à l’autre. Il est assis devant une table de toilette. Au moment où la plate-forme est de plain-pied, il pousse un déclic : « Bloqués ! » et il continue à s’arranger devant la glace, met un pardessus et un chapeau pareils à ceux de Guerchard, un large foulard blanc. Il apparait c’est Guerchard à s’y tromper.