Guerchard. — Tu m’attendais ? je n’ai pas été, trop long ?
Lupin, maitrisant son émotion. — Non, le temps a passé très vite.
Guerchard. — C’est gentil chez toi.
Lupin. — C’est central… Seulement, excuse-moi, je ne peux pas te recevoir comme je voudrais. Tous mes domestiques sont partis.
Guerchard. — Ne t’inquiète pas de ça, je les rattraperai. (Un temps.) Et Victoire est toujours là…
Lupin, chancelant sous le coup, la voix altérée. — Elle est arrêtée ?
Guerchard. — Oui.
Lupin. — Ah ! (Un temps. À Guerchard, qui a gardé son chapeau sur la tête.) Reste donc couvert. (Ils s’assoient tous deux l’un en face de l’autre, lentement, sans se quitter des yeux.) D’où viens-tu ? (Avec gaminerie.) Tu as été faire signer ton petit mandat ?
Guerchard. — Oui.
Lupin, même jeu. — Tu l’as sur toi ?
Guerchard. — Oui.
Lupin. — Contre Lupin, dit Charmerace ?
Guerchard. — Contre Lupin, dit Charmerace.
Lupin. — Alors, qu’est-ce que t’attends pour m’arrêter ?
Guerchard. — Rien, mais ça me fait tellement plaisir que je veux savourer cette minute dans toute sa plénitude. Lupin !
Lupin. — Soi-même.
Guerchard. — Je n’ose pas y croire.
Lupin. — Comme tu as raison !
Guerchard. — Oui, je n’ose pas y croire. Toi, vivant ! là, à ma merci.
Lupin. — Oh ! pas encore !
Guerchard. — Si !… et bien plus encore que tu ne le crois… (Se penchant vers lui.) Sais-tu où est Sonia Kritchnoff, en ce moment ?
Lupin. — Hein ?
Guerchard. — Je te demande si tu sais où est Sonia Kritchnoff ?
Lupin, bouleversé. — Et toi ?
Guerchard. — Moi, je le sais.
Lupin. — Dis voir.
Guerchard. — Dans un petit hôtel, près de l’Étoile…
Lupin, de même. — Dans un petit hôtel près de l’Étoile…
Guerchard. — Qui a le téléphone.
Lupin. — Ah ! quel numéro ?
Guerchard. — 555.14… Veux-tu lui téléphoner ?
Lupin, se levant brusquement. — Eh bien, après ?
Guerchard. — Après… rien… voilà.
Lupin, avec dans la voix de l’émotion, de la violence contenue, parfois une sorte de supplication menaçante. — Évidemment, rien… car qu’est-ce que ça peut te faire, cette petite ? Ce n’est pas elle qui t’intéresse, n’est-ce pas ? C’est moi que tu cherches… que tu hais… C’est moi qu’il te faut… Je t’ai joué assez de tours pour ça, hein ! vieux brigand ? Alors, cette petite, tu vas la laisser tranquille… tu ne vas pas te venger sur elle… Tu as beau être policier, tu as beau me détester, il y a des choses qui ne se font pas… Tu ne vas pas faire ça, Guerchard… tu ne feras pas ça… Moi… tout ce que tu voudras… mais elle, faut pas y toucher, pauvre gosse ! Hein ? faut pas y toucher.
Guerchard, nettement. — Ça dépend de toi.
Lupin. — Ça dépend de moi ?
Guerchard. — J’ai à te proposer un petit marché.
Lupin. — Ah !…
Guerchard. — Oui.
Lupin. — Qu’est-ce que tu veux ?
Guerchard. — Je t’offre…
Lupin. — Tu m’offres ? Alors, c’est pas vrai… Tu me roules.
Guerchard. — Rassure-toi. À toi personnellement, je ne t’offre rien.
Lupin. — Rien ?
Guerchard. — Rien !
Lupin. — Alors, tu es sincère. Et à part ça ?
Guerchard. — Je t’offre la liberté.
Lupin. — Pour qui ? Pour mon concierge ?
Guerchard. — Ne fais pas l’idiot, une seule personne t’intéresse, je te tiens par elle : Sonia Kritchnoff !
Lupin. — C’est-à-dire que tu me fais chanter.
Guerchard. — Tu l’as dit.
Lupin. — Soit, pour l’instant tu es le plus fort, ça ne durera pas. Mais tu m’offres la liberté de la petite ?
Guerchard. — Oui.
Lupin. — Sa liberté entière ?… Ta parole d’honneur ?
Guerchard, vivement. — Oui.
Lupin, de même — Tu le peux ?
Guerchard. — Je m’en charge.
Lupin, vivement. — Comment feras-tu ?
Guerchard, de même. — Je mettrai les vols sur ton dos.
Lupin. — Oui, j’ai bon dos… Et en échange… qu’est-ce qu’il te faut ?
Guerchard. — Ah ! tout. Tu vas me rendre les tableaux, les tapisseries, le mobilier Louis XIV, le diadème et l’acte de décès de Charmerace.
Lupin. — Oui, foutu. Je serai foutu… Veux-tu aussi ma sœur ? Enfin, quoi ! tu veux ma peau ?
Guerchard. — Oui, je veux ta peau.
Lupin. — La peau !
Guerchard. — Tu ne veux pas ?
Lupin. — Je peux te donner un verre de porto, mais c’est tout ce que je peux faire pour toi.
Guerchard. — Soit !
On sonne. Il va à la porte.
Lupin, courant. — Attends ! Attends !
Guerchard, à Boursin qui entre. — Qu’est-ce que c’est ?
Lupin, fortement. — J’accepte, j’accepte tout.
Boursin — C’est un fournisseur.
Lupin. — Un fournisseur ? Je refuse.
Boursin se retire.
Guerchard. — Je vais coffrer la petite.
Lupin. — Pas pour longtemps.
Guerchard. — Tu connais ton code : minimum, cinq ans.
Lupin. — Tu mens ! tu ne peux pas !
Guerchard. — … Article 386.
Lupin, après un instant. — Au fait, si je te rends tout… j’en serai quitte pour tout reprendre un de ces jours…
Guerchard, ironique. — Parbleu ! quand tu sortiras de prison.
Lupin. — Il faudra d’abord que j’y entre.
Guerchard. — Ah ! mais pardon, si tu acceptes, je peux t’arrêter !
Lupin. — Évidemment, tu m’arrêtes si tu peux…
Guerchard. — Tu acceptes ?
Lupin. — Eh bien…
Guerchard. — Eh bien ?