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L’ILLUSTRATION THÉÂTRALE

Victoire. — Oh ! je sais bien… l’émotion… tu veux te tuer… puis t’es jeune… tu reprends le dessus… Et cette vie de menteries, de vols, les choses pas propres, ça recommence !

Lupin. — Victoire, la barbe !

Victoire. — Non, non ! ça finira mal. Être voleur, c’est pas une position. Ah ! quand je pense à ce que tu m’as fait faire cette nuit et la nuit d’avant.

Lupin. — Ah ! parlons-en ! T’as fait que des gaffes !

Victoire. — Qu’est-ce que tu veux ! moi, je suis honnête.

Lupin. — C’est vrai… Je me demande même comment tu peux rester avec moi.

Victoire. — Ah ! c’est ce que je me demande tous les jours, moi aussi, mais j’sais point… C’est peut-être parce que je t’aime trop…

Lupin. — Moi aussi, ma brave Victoire, je t’aime bien.

Victoire. — Puis, vois-tu, il y a des choses qui ne s’expliquent pas. J’en parlais souvent avec ta pauv’mère !… Ah ! ta pauvre mère ! Tiens, v’là ton gilet !

Lupin. — Merci.

Victoire. — Tout petit, tu nous étonnais… t’étais déjà d’une autre espèce, t’avais des mines délicates, des petites manières à toi, c’était aut’chose… Alors, tu pouvais pas cultiver la terre, n’est-ce pas, comme ton papa, qui avait les mains calleuses et qui vendait des betteraves.

Lupin. — Pauv’papa !… N’empêche que s’il me voyait, ce qu’il serait fier.

Victoire. — À sept ans, t’étais déjà mauvais garçon, faiseur de niches… et tu volais déjà !…

Lupin. — Oh ! du sucre !

Victoire. — Oui, ça a commencé par du sucre, puis ç’a été des confitures, puis des sous. Oh ! à c’t’époque, ça allait ! Un voleur tout petit, c’est mignon, mais maintenant, vingt-huit ans…

Lupin. — Tu es crevante, Victoire !

Victoire. — Je sais bien, t’es pas corrompu, tu ne voles que les riches, t’as toujours aimé les petites gens… Ah ! oui, pour ce qui est du cœur, t’es un brave garçon.

Lupin. — Eh bien, alors ?

Victoire. — Eh bien, tu devrais avoir d’autres idées en tête. Pourquoi voles-tu ?

Lupin. — Tu devrais essayer, Victoire.

Victoire. — Ah ! Jésus-Marie !

Lupin. — Je t’assure… Moi, j’ai tâté de tout. J’ai fait ma médecine, mon droit, j’ai été acteur, professeur du jiu-jitsu. J’ai fait, comme Guerchard, partie de la Sûreté. Ah ! quel sale monde !… Puis, je me suis lancé dans la société. J’ai été duc. Eh bien, pas un métier ne vaut celui-là, même pas celui de duc : Que d’imprévu, Victoire… Comme c’est varié, terrible, passionnant ! Et puis, comme c’est rigolo !

Victoire. — Rigolo !

Lupin. — Ah ! oui !… les richards, les bouffis, tu sais, dans leur luxe, quand on les allège d’un billet de banque, la gueule qu’ils font !… T’as bien vu le gros Gournay-Martin quand on l’a opéré de ses tapisseries… quelle agonie ! Il en râlait. Et le diadème ! Dans l’affolement déjà préparé à Charmerace, puis à Paris, dans l’affolement de Guerchard, le diadème, je n’ai eu qu’à le cueillir. Et la joie, la joie ineffable de faire enrager la police ! et l’œil bouilli que fait Guerchard quand je le roule !… Et enfin contemple… (Il montre l’appartement.) Duc de Charmerace, ça mène à tout, ce métier-là !… ça mène à tout à condition de n’en pas sortir… Ah ! vois-tu, quand on ne peut pas être un grand artiste ou un grand guerrier, il n’y a plus qu’à être un grand voleur.

Victoire. — Ah ! tais-toi ! Ne parle pas comme ça. Tu te montes, tu te grises. Et tout ça, c’est pas catholique. Tiens ! tu devrais avoir une idée qui te fasse oublier toutes ces voleries… de l’amour… ça te changerait… j’en suis sûre… ça ferait de toi un autre homme. Tu devrais te marier.

Lupin, pensif. — Oui… peut-être… ça ferait de moi un autre homme, tu as raison.

Victoire, joyeuse. — C’est vrai, tu y penses ?

Lupin. — Oui.

Victoire. — Oui, mais plus de blagues ! plus de poulettes d’un soir, une vraie femme… une femme pour la vie…

Lupin. — Oui.

Victoire, toute contente. — C’est sérieux, mon petit, tu as de l’amour au cœur, du bon ?

Lupin. — Oui, du vrai amour.

Victoire. — Ah ! mon petit !… Et comment est-elle ?

Lupin. — Elle est jolie, Victoire.

Victoire. — Ah ! pour ça, je me fie à toi. Et elle est brune, blonde ?

Lupin. — Oui, blonde. Et mince, avec un teint à peine rose, l’air d’une petite princesse.

Victoire, sautant de joie. — Ah ! mon petit ! Et qu’est-ce qu’elle fait de son métier ?

Lupin. — Ah ! bien voilà. Elle est voleuse !

Victoire, éplorée. — Ah ! Jésus-Marie !

Charolais père, entrant. — Je peux enlever le petit déjeuner ?

Sonnerie au téléphone.

Lupin. — Chut !… (À Charolais père qui fait un mouvement.) Laisse… Allô !… Oui… Comment… C’est vous ?… (À Charolais père, bas.) La petite Gournay-Martin… Si j’ai passé une bonne nuit ? Excellente !… Vous voulez me parler tout de suite… vous m’attendez au Ritz…

Victoire. — N’y va pas !

Lupin. — Chut ! (Téléphonant.) Dans dix minutes ?…

Charolais père. — C’est un piège.

Lupin. — Sapristi !… C’est donc bien grave ?… Eh bien, je prends ma voiture et j’arrive… À tout à l’heure !…

Victoire. — Et puis, si elle sait tout !… si elle se venge… si elle t’attire là-bas pour te faire arrêter…

Charolais père. — Mais oui… le juge d’instruction doit être au Ritz avec Gournay-Martin… Ils doivent tous y être !

Lupin, après un instant de réflexion. — Vous êtes fous ! S’ils voulaient m’arrêter, s’ils avaient la preuve matérielle qu’ils n’ont pas encore, Guerchard serait déjà ici.

Charolais père. — Alors, pourquoi vous ont-ils poursuivi ?

Lupin, montrant le diadème. — Et ça, c’est donc pas une raison. Au lieu de cela, les flics arrivent et on me réveille… c’est même plus moi qu’on a suivi… Alors, les preuves… les preuves matérielles, où sont-elles ? il n’y en a pas, ou plutôt c’est moi qui les ai… (Ouvrant un des tiroirs de la bibliothèque et prenant un porte-feuille.) La liste de mes correspondants de province et de l’étranger… l’acte de décès du duc de Charmerace… il y a là tout ce qu’il faudrait à Guerchard pour décider le juge d’instruction à marcher… (À Charolais père.) Ma valise… (Il les met dans la valise.) Je mets