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L’ILLUSTRATION THÉÂTRALE

Guerchard. — Non. Mais il a fait mieux récemment… Pourquoi ne parlez-vous pas de ça ?

Le Duc. — Ah ! de quoi ?

Guerchard. — Du jour où il s’est fait passer pour le duc de Charmerace.

Le Duc. — Il a fait ça ? Oh ! le bougre !… Mais vous savez, je suis comme vous, moi. Je suis si facile à imiter.

Guerchard. — Pourtant, monsieur le duc, ce qui eût été amusant, c’eût été d’arriver jusqu’au mariage…

Le Duc. — Oh ! s’il le voulait… mais vous savez, pour Lupin, la vie d’un homme marié…

Guerchard. — Une grande fortune… une jolie fille…

Le Duc. — Il doit en aimer une autre…

Guerchard. — Une voleuse, peut-être…

Le Duc. — Qui se ressemble… Puis, voulez-vous mon avis ? Sa fiancée doit l’embêter…

Guerchard. — C’est égal, c’est navrant, pitoyable, avouez-le, que la veille du mariage il ait été assez bête pour se démasquer. Et, au fond, hein ! est-ce assez logique ?… Lupin perçant sous Charmerace, il a commencé par prendre la dot au risque de ne plus avoir la fille.

Le Duc. — C’est peut-être ce qu’on appellera le mariage de raison.

Guerchard. — Quelle chute ! Être attendu à l’Opéra demain soir, dans une loge, et passer cette soirée-là, au dépôt… avoir voulu, dans un mois, comme duc de Charmerace, monter en grande pompe les marches de la Madeleine et dégringoler les escaliers du beau-père, ce soir, (Avec force.) oui, ce soir, le cabriolet de fer aux poignets… hein ! est-ce assez la revanche de Guerchard ! de cette vieille ganache de Guerchard ?… Le Brummel des voleurs en bonnet de prison… Le gentleman cambrioleur sous les verrous !… Pour Lupin ça n’est qu’un petit ennui, mais pour un duc, c’est un désastre… Allons ! voyons, à votre tour, sans parti pris, vous ne trouvez pas ça amusant ?…

Le Duc, qui est assis devant lui, relève la tête et, froidement. — T’as fini ?…

Guerchard. — Hein ?

Ils se dressent l’un devant l’autre.

Le Duc. — Moi, je trouve ça amusant.

Guerchard. — Et moi, donc.

Le Duc. — Non, toi tu as peur.

Guerchard. — Peur ? Ah ! ah !

Le Duc. — Oui, tu as peur. Et si je te tutoie, gendarme, ne crois pas que je jette un masque… Je n’en porte pas. Je n’ai rien à démasquer. Je suis le duc de Charmerace.

Guerchard. — Tu mens ! Tu t’es évadé, il y a dix ans, de la Santé. Tu es Lupin ! Je te reconnais maintenant.

Le Duc. — Prouve-le.

Guerchard. — Oui.

Le Duc. — Je suis le duc de Charmerace.

Guerchard. — Ah !

Le Duc. — Ne ris donc pas. Tu n’en sais rien.

Guerchard. — On se tutoie, pourtant.

Le Duc. — Qu’est-ce que je risque ? Peux-tu m’arrêter ? Tu peux arrêter Lupin… mais arrête donc le duc de Charmerace, honnête homme, dandy à la mode, membre du Jockey et de l’Union, demeurant en son hôtel, 34 bis, rue de l’Université ; arrête donc le duc de Charmerace, fiancé à Mlle Gournay-Martin.

Guerchard. — Misérable !

Le Duc. — Eh bien, vas-y !… sois ridicule, fais-toi fiche de toi par tout Paris… fais-les entrer tes flics… As-tu une preuve ?… une seule ?… non, pas une…

Guerchard. — Oh ! j’en aurai.

Le Duc. — Je crois… Tu pourras m’arrêter dans huit jours… après-demain, peut-être… peut-être jamais… mais pas ce soir, c’est certain…

Guerchard. — Ah ! si quelqu’un pouvait t’entendre !

Le Duc. — Ne te frappe pas… Ça ne prouverait rien. D’abord, le juge d’instruction te l’a dit. Quand il s’agit de Lupin, tu perds la boule. Tiens ! Le juge d’instruction, voilà un garçon intelligent.

Guerchard. — En tout cas, le diadème, ce soir…

Le Duc. — Attends, mon vieux… Attends. (Se levant.) Sais-tu ce qu’il y a derrière cette porte ?

Guerchard, sursautant. — Hein ?

Le Duc. — Froussard, va.

Guerchard. — Nom de nom !

Le Duc. — Je te dis que tu vas être pitoyable !

Guerchard. — Cause toujours.

Le Duc. — Pitoyable ! De minute en minute et à mesure que l’aiguille se rapprochera de minuit, tu seras épouvanté… (Violemment.) Attention !

Guerchard, bondissant. — Quoi ?

Le Duc. — Ce que tu as la trouille !

Guerchard. — Cabot !

Le Duc. — Oh ! tu n’es pas plus lâche qu’un autre… mais qui peut supporter l’angoisse de ce qui va survenir et qu’on ne connaît pas ? (Avec force.) J’ai raison, tu le sens, tu en es sûr. Il y a au bout de ces minutes comptées un événement fatal, implacable. Ne hausse donc pas les épaules, tu es vert.

Guerchard. — Mes hommes sont là… Je suis armé.

Le Duc. — Enfant ! Mais souviens-toi, souviens-toi que c’est toujours quand tu avais tout prévu, tout combiné, tout machiné, souviens-toi que c’est alors que l’accident jetait bas tout ton échafaudage. Rappelle-toi, c’est toujours au moment où tu vas triompher qu’il te bat et il ne te laisse atteindre le sommet de l’échelle que pour mieux te flanquer par terre.

Guerchard. — Mais avoue-le donc, tu es Lupin.

Le Duc. — Je croyais que tu en étais sûr…

Guerchard, tirant ses menottes. — Ah ! je ne sais pas ce qui me retient, mon petit.

Le Duc, vivement et avec hauteur. — Assez, n’est-ce pas ?

Guerchard. — Hein ?

Le Duc. — En voilà assez, je veux bien jouer à ce qu’on se tutoie tous les deux, mais ne m’appelez pas votre petit.

Guerchard. — Va, va… Tu ne m’en imposeras plus longtemps.

Le Duc. — Si je suis Lupin, arrêtez-moi.

Guerchard. — Dans trois minutes ! ou alors, c’est qu’on aura pas touché au diadème.

Le Duc. — Dans trois minutes on aura volé le diadème et vous ne m’arrêterez pas.

Guerchard. — Ah ! je jure bien… je jure…

Le Duc. — Ne fais pas de serments imprudents. Plus que deux minutes.

Il tire son revolver.

Guerchard. — Hein ? Ah ! mais non.

Il prend aussi son revolver.