bonté de me le confier et nous l’avons changé de place ensemble.
Gournay-Martin. — Oui et même je l’ai repris, je l’ai là dans ma valise, je l’emporte avec moi.
Pendant ce dialogue, Guerchard est resté à part et réfléchit, puis il interroge Germaine.
Le Duc. — Hein !
Gournay-Martin. — Quoi ?
Le Duc. — Vous trouvez ça prudent ?
Gournay-Martin. — Quoi !
Le Duc. — Si Lupin est décidé à s’emparer du diadème, même par la force, vous risquez gros.
Gournay-Martin. — Ah ! c’est vrai. Je n’avais pas pensé à cela. Alors, que faire.
Le Duc. — Il faut se méfier.
Gournay-Martin. — De tout le monde, comme c’est vrai. Dites-moi. (À Guerchard qui s’avance.) Non, pardon, un instant ; dites-moi, vous avez confiance en Guerchard ?
Le Duc. — En Guerchard !
Gournay-Martin. — Vous croyez qu’on peut avoir en lui pleine confiance ?
Le Duc. — Oh ! Je crois.
Gournay-Martin. — Eh bien, alors, je vais lui confier le diadème. (Ouvrant sa valise.) Tenez, il est beau, n’est-ce pas ?
Le Duc, tenant le coffret ouvert. — Ah ! merveilleux !
Gournay-Martin, à Guerchard. — Monsieur Guerchard, il y a du danger, alors, je vous confie le diadème. Ça ne vous ennuie pas ?
Guerchard. — Au contraire. C’est précisément ce que je voulais vous demander.
Le Duc, lui tend le diadème très lentement. Tous deux ont les bras tendus et tiennent le coffret en même temps. — Il est beau, n’est-ce pas ?
Le duc abandonne le coffret.
Guerchard. — Ah ! merveilleux !
Gournay-Martin, au duc. — Ah ! Jacques, s’il y avait du nouveau, je suis au Ritz. Alors, n’est-ce pas ?…
Il continue à causer avec lui.
Guerchard, à Germaine. — Vous connaissez cette photographie du duc, mademoiselle ? Elle date de dix ans.
Germaine. — Elle date de dix ans ? Eh bien, ce n’est pas le duc.
Guerchard, vivement. — Quoi ?
Germaine. — Comment ?
Guerchard. — Rien… pourtant elle ressemble…
Germaine. — Au duc, tel qu’il est, oui, un peu ; mais pas au duc tel qu’il était. Il a tellement changé.
Guerchard. — Ah !
Germaine. — Le voyage, la maladie… Vous savez qu’il a passé pour mort… Oui, c’est même ce qui inquiétait papa quand il est parti. Maintenant, il va très bien.
Guerchard. — Vous partez aussi, monsieur le duc ?
Le Duc. — Oui. vous n’avez pas besoin de moi ?
Guerchard. — Si !
Le Duc. — C’est que j’ai à faire.
Guerchard. — Vous avez peur ?
Un silence. Le duc réfléchit. Puis comme s’il prenait son parti et qu’il se décidât à jouer le tout pour le tout.
Le Duc. — Ah ! monsieur Guerchard, vous avez trouvé le moyen de me faire rester.
Gournay-Martin. — Oui. Restez. Vous n’êtes pas trop de deux. Au revoir, et merci… Mais quand pourrai-je enfin coucher chez moi ?
Il serre la main à Guerchard et sort.
Germaine, qui rentre à droite, au duc. — Vous ne venez pas ?
Le Duc. — Non, je reste avec monsieur Guerchard.
Germaine. — Eh bien, vous serez frais demain pour aller à l’Opéra. Déjà vous n’avez pas dormi cette nuit. (Guerchard tressaille.) Partir à huit heures du soir de Bretagne pour arriver à six heures du matin en automobile.
Guerchard, avec un sursaut. — En automobile.
Germaine. — Mais je vous préviens. Malade ou non, vous m’accompagnerez à l’Opéra, je veux voir Faust, c’est le jour chic.
Ils sortent.
Scène V
Guerchard, à lui-même, lentement, avec une joie farouche. — En automobile !… mais voilà… tout s’explique… mais oui… voilà… (Il pose sur la table le coffret dans lequel se trouve le diadème. Le duc revient en scène.) Je ne savais pas, monsieur le duc, que vous aviez eu cette nuit une panne en automobile… Si j’avais su, je me serais fait un scrupule.
Le Duc. — Une panne…
Guerchard. — Oui, parti à huit heures, hier soir, vous n’êtes arrivé à Paris qu’à six heures du matin. Vous n’aviez donc pas une forte machine.
Le Duc. — Si, une cent chevaux.
Guerchard. — Bigre ! Vous avez dû avoir une sacrée panne !
Le Duc. — Oui, une panne de trois heures.
Guerchard. — Et personne ne se trouvait là pour vous aider à la réparer ?
Le Duc. — Dame, non ; il était deux heures du matin.
Guerchard. — Oui, il n’y avait personne.
Le Duc. — Personne.
Guerchard. — C’est fâcheux.
Le Duc. — Très fâcheux. J’ai dû réparer l’accident moi-même. C’est ce que vous vouliez dire, n’est-ce pas ?
Guerchard. — Certainement.
Le Duc. — Une cigarette ? Ah ! non, je sais que vous ne fumez que du caporal.
Guerchard. — Si, si, tout de même. (Il prend une cigarette et la regarde.) C’est égal, tout ça est bien curieux.
Le Duc. — Quoi ?
Guerchard. — Tout : vos cigarettes… ces fleurs de salvia… la petite photo qu’on m’a remise… cet homme en tenue de chauffeur et… enfin, votre panne.
Le Duc. — Ah çà ! monsieur, vous êtes ivre…
Il va prendre son pardessus.
Guerchard, se levant et lui barrant le chemin. — Non, ne sortez pas.
Le Duc. — Vous dites ? (Un silence.) Ah çà ! que dites-vous ?
Guerchard, passant sa main sur son front. — Non… je vous demande pardon… je suis fou ! je suis fou !
Le Duc. — En effet !…
Guerchard. — Aidez-moi… voilà ce que je veux