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ARSÈNE LUPIN

Le Duc. — Parlez plus bas.

Sonia. — Ah ! que m’importe ! J’ai perdu l’estime du seul être à qui je tenais, peu m’importe tout le reste.

Le Duc, regardant autour de lui. — Nous nous retrouverons… cela vaut mieux.

Sonia, assise. — Non, non, tout de suite… Il faut que vous sachiez… il faut que je vous parle… Ah ! mon Dieu… je ne sais plus quoi vous dire. Et puis, c’est trop injuste après tout. Elle, Germaine, elle a tout. Hier, devant moi, vous lui avez remis ce pendentif… elle a souri… elle était orgueilleuse… j’ai vu sa joie. Alors, oui, je l’ai pris, je l’ai pris, je l’ai pris, et si je pouvais lui prendre sa fortune… je la hais.

Le Duc, s’approchant. — Quoi ?

Sonia. — Eh bien, oui… je la hais.

Le Duc. — Comment ?

Sonia. — Ah ! c’est une chose que je ne vous aurais pas dite… mais maintenant j’ose… j’ose parler… Eh bien… oui… je… je vous… je vous… (Elle n’achève pas l’aveu, désespérée.) Je la hais.

Le Duc, s’inclinant un peu sur elle. — Sonia !

Sonia, continuant. — Oh ! je sais, ça n’excuse rien, vous pensez : « C’est bien trouvé, mais elle n’en est pas à son premier vol. » Oui, c’est vrai, c’est le dixième, le vingtième peut-être. Oui, c’est vrai, je suis une voleuse, mais il y a une chose qu’il faut croire : depuis que vous êtes revenu, depuis que je vous ai connu, du premier jour où vous m’avez regardée, eh bien, je n’ai plus volé.

Le Duc. — Je vous crois.

Sonia. — Et puis, si vous saviez. Si vous saviez comment cela a commencé… l’horreur de ça…

Le Duc. — Je vous plains…

Sonia. — Oui, vous me plaignez, en me méprisant, avec dégoût ! Ah ! il ne faut pas ! Je ne veux pas !

Le Duc. — Calmez-vous, voyons.

Sonia. — Écoutez… Avez-vous jamais été seul, seul au monde ?… Avez-vous jamais eu faim ?… Pourtant dans la grande ville où j’agonisais, aux étalages, quand on n’a qu’à tendre la main… les pains… les pains d’un sou, c’est banal… c’est banal, n’est-ce pas ?

Le Duc. — Continuez.

Sonia. — Eh bien, non, je ne l’ai pas fait. Mais ce jour-là je mourais, vous entendez, je mourais… Une heure après, je frappais à la porte d’un homme que je connaissais un peu. C’était ma dernière ressource… Je fus contente d’abord… il me donna à manger… à boire… du champagne… et puis, il me parla, il m’offrit de l’argent…

Le Duc. — Quoi ?

Sonia. — Non, je n’ai pas pu… Alors, je l’ai volé… j’aimais mieux ça ! C’était plus propre ! Ah ! j’avais des excuses alors. J’ai commencé à voler pour rester une honnête femme… J’ai continué pour avoir l’air d’une femme honnête. Vous voyez… je plaisante. Ah ! mon Dieu ! Ah ! mon Dieu !

Elle pleure.

Le Duc. — Pauvre petite !

Sonia. — Oh ! vous avez pitié… vous êtes ému.

Le Duc, levant la tête. — Ma pauvre petite Sonia.

Sonia, se levant. — Ah ! (Ils se regardent un instant, très près l’un de l’autre.) Adieu ! Adieu…

Il hésite, comme s’il allait parler, mais il entend du bruit et s’éloigne d’elle. Elle va pour sortir. Entre Guerchard.

Guerchard. — Ah ! mademoiselle… je vous cherchais… (Sonia s’arrête.) Le juge a changé d’avis. Il est impossible que vous sortiez… C’est une mesure générale.

Sonia. — Ah !

Guerchard. — Nous vous serions même très obligés de monter dans votre chambre. On vous servira votre repas là-haut.

Sonia. — Comment !… mais, monsieur !… (Après un temps elle regarde le duc, il fait signe qu’elle peut obéir.) Bien… je vais monter dans ma chambre !

Elle sort.


Scène VII

LE DUC, GUERCHARD, LE JUGE, LE COMMISSAIRE

Le Duc. — Monsieur Guerchard… une pareille mesure…

Guerchard. — Ah ! monsieur le duc, je suis désolé, mais c’est mon métier… ou si vous préférez mon… devoir… D’autant qu’il se passe des choses que je suis encore seul à savoir et qui ne sont pas claires. Votre futur beau-père vient de se mettre au lit, ayant reçu ce télégramme.

Il lui tend un télégramme.

Le Duc, jetant un rapide coup d’œil et haussant les épaules. — Oh !… et vous avez coupé là dedans… quelle fumisterie !

Guerchard. — Euh ! Euh !…

Le Duc, au juge et au commissaire qui entrent. — Voyons, messieurs, je vous fais juges. Mon futur beau-père a reçu ce télégramme et monsieur que voici le prend au sérieux.

Le Juge. — Ah ! Donnez… (Il lit.) « Mille excuses de n’avoir pu tenir promesse pour diadème, avais rendez-vous aux Acacias. Prière préparer ce soir diadème dans votre chambre. Viendrai sans faute le prendre entre minuit moins un quart et minuit. Votre affectueusement dévoué, Arsène Lupin. » C’est idiot !… Comment, vous, Guerchard, un homme… Eh bien, où est-il passé ?

Le Commissaire. — Il a dû sortir.

Le Juge. — Tant mieux, nous pourrons dire deux mots librement. Messieurs, il faut nous défier de Guerchard. Quand il croit avoir affaire à Lupin, il perd la boule. Ah çà ! messieurs, si Lupin était venu cette nuit, si Lupin avait convoité le diadème, il aurait cambriolé, tout au moins essayé de cambrioler, soit le coffre-fort de la chambre de Gournay-Martin dans lequel se trouve le diadème, soit ce coffre-fort (Allant au coffre-fort.) qui est ici et dans lequel se trouve la seconde clef.

Le Commissaire. — Évidemment.

Le Juge. — S’il n’a rien essayé cette nuit, quand il avait la partie belle, que l’hôtel était vide, il n’essayera pas maintenant que nous sommes prévenus, que la police est sur pied, et que l’hôtel est cerné !… Messieurs, cette dernière supposition est enfantine et inquiétante pour la mentalité de Guerchard !

Il s’est appuyé sur le coffre-fort. À ce moment, il chancelle, la porte s’est ouverte brusquement. Guerchard sort du coffre-fort.

Tous. — Hein ?

Guerchard. — Vous savez qu’on entend très bien d’ici.