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l’ayant allumée, il tira quelques bouffées. Un léger cri lui échappa. Près de lui, debout, se tenait un homme qu’il ne connaissait point.

Il recula d’un pas.

— Qui êtes-vous ?

L’homme — c’était un individu correctement habillé, plutôt élégant, noir de cheveux et de moustaches, les yeux durs — l’homme ricana :

— Qui je suis ? Mais, le Colonel…

— Mais non, mais non, celui que j’appelle ainsi, celui qui m’écrit sous cette signature… de convention… ce n’est pas vous.

— Si, si… l’autre n’était que… Mais, voyez-vous, mon cher monsieur, tout cela n’a aucune importance. L’essentiel, c’est que moi, je sois… moi. Et je vous jure que je le suis.

— Mais enfin, monsieur, votre nom…

— Le Colonel… jusqu’à nouvel ordre.

Une peur croissante envahissait M. Kesselbach. Qui était cet homme ? Que lui voulait-il ?

Il appela :

— Chapman !

— Quelle drôle d’idée d’appeler ! Ma société ne vous suffit pas ?

— Chapman, répéta M. Kesselbach. Chapman ! Edwards !

— Chapman ! Edwards ! dit à son tour l’inconnu. Que faites-vous donc, mes amis ? On vous réclame.

— Monsieur, je vous prie, je vous ordonne de me laisser passer.

— Mais, mon cher monsieur, qui vous en empêche ?

Il s’effaça poliment. M. Kesselbach s’avança vers la porte, l’ouvrit, et brusquement sauta en arrière. Devant cette porte il y avait un autre homme, le pistolet au poing.

Il balbutia :

— Edwards… Chap…

Il n’acheva pas. Il avait aperçu dans un coin de l’antichambre, étendus l’un près de l’autre, bâillonnés et ligotés, son secrétaire et son domestique.

M. Kesselbach, malgré sa nature inquiète, impressionnable, était brave, et le sentiment d’un danger précis, au lieu de l’abattre, lui rendait tout son ressort et toute son énergie.

Doucement, tout en simulant l’effroi, la stupeur, il recula vers la cheminée et s’appuya contre le mur. Son doigt cherchait la sonnerie électrique. Il trouva et poussa le bouton longuement.

— Et après ? fit l’inconnu.

Sans répondre, M. Kesselbach continua d’appuyer.

— Et après ? Vous espérez qu’on va venir, que tout l’hôtel est en rumeur parce que vous pressez ce bouton ?… Mais, mon pauvre monsieur, retournez-vous donc, et vous verrez que le fil est coupé.

M. Kesselbach se retourna vivement, comme s’il voulait se rendre compte, mais, d’un geste rapide, il s’empara du sac de voyage, plongea la main, saisit un revolver, le braqua sur l’homme et tira.

— Bigre, fit celui-ci, vous chargez donc vos armes avec de l’air et du silence ?

Une seconde fois le chien claqua, puis une troisième fois. Aucune détonation ne se produisit.

— Encore trois coups, roi du Cap. Je ne serai content que quand j’aurai six balles