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Ce soir seulement la température commence à tomber.

— Mais il n’est pas transportable ?

— Il vaut mieux attendre. Je reviendrai demain matin et nous verrons, mais, en tout cas, qu’on ne le laisse pas seul.

— Non, non. Soyez sans crainte, docteur, dit M. Lenormand, et merci.

Il le reconduisit avec un empressement visible, revint en hâte vers le malade, d’un coup lui sortit le bras gauche hors du lit, se pencha sur la main.

— Eh ! parbleu, c’est lui !

— Qui ça, lui, demanda Gourel.

— Pierre Leduc !

— L’homme que M. Kesselbach avait chargé l’agence Barbareux de découvrir ?

— Justement ! L’extrémité du petit doigt de la main gauche manque… et regarde… cette cicatrice effacée à la joue droite.

— Comment expliquez-vous, chef ?

— Comment ! Mais c’est tout simple, Lupin était au courant des recherches, il s’est mis en quête de son côté, il a trouvé, et, pour être plus tranquille, il a confisqué le personnage à son profit.

— Il le connaît donc ? Il sait qui c’est ?

— Peut-être pas. Je suppose que M. Kesselbach aura gardé secrètes les raisons pour lesquelles il cherchait Pierre Leduc avec tant d’opiniâtreté et que Lupin ne sait que ce que nous savons, c’est-à-dire l’existence de Leduc, l’intérêt qui s’attache à cette existence ; sans doute, aussi, ce chiffre 813 que l’on retrouve partout et qui semble jouer un rôle si important dans l’aventure.

Il se courba sur le malade, et il le contemplait avec une curiosité passionnée, avec l’espoir ardent de découvrir sur ce visage blême, sur ces joues amaigries, le secret de l’impénétrable passé. D’où venait cet homme ? À quelle race appartenait-il ? Quelle langue parlait-il ?

L’homme dormait, plus calme. Un mouvement régulier élevait et abaissait sa poitrine. La figure, malgré les tares et la fatigue, avait, au repos, de la noblesse.

Tout bas, il lui dit, comme s’il avait voulu lui suggérer le besoin de répondre :

— 813… Que signifient ces trois chiffres ? 813…

Le malade ouvrit les yeux et regarda M. Lenormand.

— 813… répéta celui-ci. Pouvez-vous m’expliquer ?… Il faut me parler en toute confiance…

L’autre continuait à fixer sur lui un regard vague et qui ne comprenait pas.

À chaque fois cependant que le chiffre était énoncé, il semblait à M. Lenormand qu’il se produisait comme un éveil de la conscience endormie, ou tout au moins un effort, un effort douloureux et passager.