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Durant quelques minutes, on vit l’homme dans la boutique. Il avait déplié une feuille de papier, une ordonnance sans doute, et il donnait au pharmacien des explications qui furent longues et détaillées.

Puis il sortit, tourna sous la voûte, se dirigea vers la petite porte, prit son trousseau de clefs, ouvrit et disparut.

Gourel répéta :

— Lupin… Je le reconnais…

— Tu es sûr ?

— Voyons, chef, j’ai eu assez le temps de le voir, le premier jour, au Palace, dans l’antichambre de M. Kesselbach… Vous vous rappelez… une heure peut-être avant le crime…

— Pas d’erreur ?

— Pas d’erreur… J’en mettrais ma main au feu…

M. Lenormand semblait lui aussi très ému. Il redisait à voix basse :

— Lupin… alors, c’est lui, Lupin !… c’est lui !

— Hein ! chef, ça vous fait quelque chose de le voir… C’est le grand ennemi, celui-là ! Ce bon M. Ganimard[1] m’en a souvent parlé, avant de prendre sa retraite… il dit qu’avec Lupin il n’y a rien à faire… Mais, moi, je parie bien que vous, chef…

M. Lenormand se taisait, les yeux dans le vide, pensif, comme s’il examinait dans l’avenir sa lutte avec ce singulier personnage qui s’appelait Lupin, et comme s’il pesait les chances contraires et favorables de cette première rencontre, si imprévue.

— Allons-y, dit-il enfin, à la grande joie de Gourel.

Il prit une de ses cartes.

— Tiens, porte ça au commissariat de la rue Demours. C’est à trois cents pas.

— Mais le commissaire n’y est plus.

— Il y est. Je l’ai averti. Qu’il vienne sans tarder d’une seconde, avec tous ses hommes. Il m’en faut bien dix… douze, si possible.

— Dites donc, chef, nous n’allons pourtant pas prendre la maison d’assaut… À cette heure de la nuit ce serait grave.

— J’ai tous les pouvoirs, Gourel. Valenglay me couvre. C’est un monsieur, celui-là. Un peu d’arbitraire n’est pas pour l’effrayer… si on réussit. Galope…

Dix minutes ne s’étaient pas écoulées que Gourel était de retour avec le commissaire du quartier des Ternes, M. Arnoult.

— Bonjour, Arnoult. Où sont vos hommes ?

— Dans la rue, disséminés.

— Combien en avez-vous ?

— Huit.

— C’est peu.

  1. Aventures d’Arsène Lupin ; 3 volumes.