Page:Leblanc - 813, paru dans Le Journal, du 5 mars au 24 mai 1910.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cable et terrible que celle qui se jouait dans le cadre élégant d’un hôtel parisien, entre le puissant personnage qu’est un chef de la Sûreté et ce mystérieux individu poursuivi, traqué, presque captif déjà, mais si formidable de ruse et de sauvagerie.

L’angoisse étreignait les spectateurs, tous groupés au centre du hall, silencieux et pantelants, secoués de peur au moindre bruit, obsédés par l’image infernale de l’assassin. Où se cachait-il ? Allait-il apparaître ? N’était-il point parmi eux, celui-ci peut-être ? ou cet autre ?…

Les nerfs étaient si tendus que sous un coup de révolte on eût forcé les portes et gagné la rue, si le Maître n’avait pas été là. Mais il était là, et sa présence avait quelque chose qui rassurait et qui calmait. On se sentait en sécurité, comme des passagers sur un navire que dirige un bon capitaine.

Et tous les regards se portaient vers ce vieux monsieur à lunettes et à cheveux gris, à redingote olive et à foulard marron, qui se promenait, le dos voûté, les jambes vacillantes.

Parfois accourait, envoyé par Gourel, un des garçons qui suivaient l’enquête du brigadier.

— Du nouveau ? demandait M. Lenormand.

— Rien, monsieur ; on ne trouve rien.

À deux reprises, le directeur essaya de faire fléchir la consigne. La situation était intolérable. Dans les bureaux, plusieurs voyageurs, appelés par leurs affaires ou sur le point de partir, protestaient.

— Je m’en fiche, répétait M. Lenormand.

— Mais je les connais tous.

— Tant mieux pour vous.

— Vous outrepassez vos droits.

— Je le sais.

— On vous donnera tort.

— J’en suis persuadé.

— M. le juge d’instruction lui-même…

— Que M. Formerie me laisse tranquille. Il n’a pas mieux à faire que d’interroger les domestiques comme il s’y emploie actuellement. Pour le reste, ce n’est pas de l’instruction. C’est de la police. Ça me regarde.

À ce moment, une escouade d’agents fit irruption dans l’hôtel. Le chef de la Sûreté les répartit en plusieurs groupes qu’il envoya au troisième étage, puis, s’adressant au commissaire :

— Mon cher commissaire, je vous laisse la surveillance. Pas de faiblesse, je vous en conjure. Je prends la responsabilité de ce qui surviendra.

Et se dirigeant vers l’ascenseur, il se fit conduire, lui, au second étage.

La besogne n’était pas facile. Elle fut longue, car il fallait ouvrir les portes des soixante chambres, inspecter toutes les salles de bain, toutes les alcôves, tous les placards, tous les recoins.

Elle fut aussi infructueuse. Une heure après, sur le coup de midi, M. Lenormand avait tout juste fini le second étage, les autres agents n’avaient pas terminé les étages supérieurs, et nulle découverte n’avait été faite.

M. Lenormand hésita : l’assassin était-il remonté vers les mansardes ?

Il se décidait cependant à descendre, quand on l’avertit que Mme Kesselbach venait d’arriver avec sa demoiselle de compagnie. Edwards, le vieux serviteur de confiance, avait accepté la tâche de lui apprendre la mort de M. Kesselbach.