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“813”

On eût dit qu’ils ne pouvaient se passer l’un de l’autre, et qu’une grande amitié les unissait, faite de confiance, d’estime et de sympathie. Ils s’amusaient beaucoup, buvaient de bons vins, fumaient d’excellents cigares, et riaient comme des fous.

En réalité, ils s’épiaient férocement. Ennemis mortels, séparés par une haine sauvage, chacun d’eux, sûr de vaincre et le voulant avec une volonté sans frein, ils attendaient la minute propice, Altenheim pour supprimer Sernine, et Sernine pour précipiter Altenheim dans le gouffre qu’il creusait devant lui. Tous deux savaient que le dénouement ne pouvait tarder. L’un ou l’autre y laisserait sa peau, et c’était une question d’heures, de jours, tout au plus.

Drame passionnant, et dont un homme comme Sernine devait goûter l’étrange et puissante saveur. Connaître son adversaire et vivre à ses côtés, savoir que, au moindre pas, à la moindre étourderie, c’est la mort qui vous guette, quelle volupté !

Un jour, dans le jardin du cercle de la rue Cambon, dont Altenheim faisait également partie, ils étaient seuls, à cette heure de crépuscule où l’on commence à dîner au mois de juin, et où les joueurs du soir ne sont pas encore là.

Ils se promenaient autour d’une pelouse, le long de laquelle il y avait, bordé de massifs, un mur que perçait une petite porte. Et soudain, pendant qu’Altenheim parlait, Sernine eut l’impression que sa voix devenait moins assurée, presque tremblante. Du coin de l’œil