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Le soleil se couchait. L’air devint plus léger encore et plus grisant. Caresse adorable, qui pénètre notre chair, enveloppe notre vie elle-même, et l’imprègne de jeunesse et de santé. On est comme une âme sensible et toute frémissante qui, dans une course vertigineuse à travers l’immensité, serait fécondée par l’essence même de toutes choses, par la brise la plus pure, par le rayon le plus tiède, par la source la plus claire, par l’aurore la plus ardente. Oh ! comme j’aurais voulu ouvrir mes deux bras et presser contre ma poitrine cette infinité de petites choses et de grands spectacles qui venaient s’y blottir ! Comme j’aurais voulu crier mon allégresse, rire, pleurer et chanter, avoir un souffle plus profond, une étreinte plus puissante, une âme plus accueillante ! Comme j’aurais voulu rendre en amour tout ce qui m’arrivait du dehors, et me délivrer par des paroles et par des actes de tout ce qui palpitait en moi !

Désir impossible et surhumain, effervescence de ma vie centuplée ! C’était un besoin irrésistible de quelque chose que je n’aurais su préciser, besoin de dévouement, besoin de protection, besoin d’expansion et de confiance. J’étais ivre… oui… sinon comment expliquer ?… j’étais ivre comme si j’avais goûté à quelque vin magique ; la nuit m’exaltait, je me dispersais dans l’ombre naissante et dans les lueurs expirantes du jour, je me soulevais vers les premières étoiles, je tremblais d’émotion et de tendresse, je voulais, je voulais éperdument… Et en même temps je me semblais si faible, si lasse, si fragile, si seule, que ma tête s’inclina sur l’épaule de Bertrand…

Un grand silence, un apaisement inouï, le bruit monstrueux a cessé, la force aveugle se repose. Je descends, libre enfin !

Libre ? Ah ! moins que jamais, puisque son bras entoure ma taille, et que,