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gnes pénibles étant effectuées par des esclaves, les libres citoyens, affranchis du travail, s’adonnaient aux exercices du corps et furent les grands amoureux de la forme et du geste ? Il en sera de même. Le noble culte ne comptera plus que des fidèles. Autant par nécessité que par goût, il y aura la religion de la force, c’est-à-dire, n’est-ce pas, de la beauté.

Maxime s’arrêta. Il avait l’intuition soudaine que son enthousiasme était quelque peu déplacé et que la jeune fille ne s’intéressait peut-être pas beaucoup à ses dissertations, cela l’irrita. Comme ils s’étaient remis à jouer, il eut quelques balles nerveuses. Et il dit encore :

— Au fond, l’obstacle, c’est la femme. Je ne parle pas pour vous, mademoiselle, qui m’avez fait en deux mots votre profession de foi, mais, en général, la femme n’a pas l’instinct du sport. Elle ne l’aime que par exception, et toujours pour des motifs secondaires, et à côté…

Elle ne répondit pas, de peur qu’il ne se jetât dans de nouveaux discours. Ce silence le gêna. Il comprit combien il avait dû lui sembler ridicule. Et en même temps ce pi jeu de ping-pong lui parut absurde. Cela, du sport, ce petit clapotement de goutte d’eau ! Oui, du sport pour enfants qui se soufflent au visage des bulles de savon, du sport pour femme assise, du sport à l’image de flirt, mesquin, hypocrite, chuchoté, prudent, sournois, le seul dont cette jolie poupée fût capable.

Il fut exaspéré contre elle et contre lui. Quel couple stupide ils formaient à eux deux ! Il éprouva un besoin irrésistible d’action et de détente. Et comme elle lui envoyait une balle un peu dure, il se soulagea en la lui renvoyant d’un coup brusque, tout droit, en plein sur le nez — argument décisif qui pénétra la jeune fille d’un certain respect pour la force de l’homme.

Maurice LEBLANC.