Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si l’on joint à cela l’inimitié implacable qui dressait l’un contre l’autre Dermelin et Bradol, on comprend encore mieux ce qu’il y eut, dans leurs fameux matches, de fureur sombre, de rage concentrée et, souvent, d’audace terrifiante.

Leur conversion à l’automobile fut simultanée et ne fit qu’aggraver cet état de choses. Attachés aux deux maisons concurrentes les plus en vue, ils s’affirmèrent des chauffeurs de premier ordre, et les grandes batailles de ces dernières années, à travers la France et l’Europe, furent gagnées, chacun s’en souvient, tantôt par l’un et tantôt par l’autre.

Voilà, n’est-ce pas des motifs d’animosité suffisants. Pourtant l’acte étrange, absurde, dont je vais parler, demeurerait inexplicable, si l’on ne savait la vraie cause qui transforma toutes ces vieilles rancunes en un besoin irrésistible et maladif de vengeance. Est-il nécessaire de préciser que l’amour fut cette cause déterminante ?

Oui, Dermelin et Bradol aimèrent la même femme, une divorcée du nom de Marceline, déjà connue pour avoir été enlevée et puis abandonnée par un professeur de bicyclette. Je n’entreprendrai point par le menu l’histoire de leur double passion et des incidents qui en marquèrent les phases diverses au cours de ces derniers mois. Il me suffit de dire qu’après des alternatives où chacun à son tour eut l’espoir du succès, escompta les joies d’une victoire prochaine et fut ensuite torturé par les affres du doute et de la jalousie, ils arrivèrent à lasser Marceline, au point qu’elle leur interdit sa porte à tous deux. Et quelques jours plus tard ils apprenaient sa fuite avec l’un de leurs camarades.