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Mais comment l’avertir ? Sa mère ne la quittait pas, inquiète déjà, je m’en rendais compte, de mon passage quotidien. Une lettre n’était point possible. Je cherchais, je combinais… À quoi bon ? L’accord qui s’établissait entre nous, sans qu’aucun signe le révélât, suffisait à l’instruire de ma volonté secrète. Et un jour, au battement de ses paupières, à la flamme de ses yeux, je compris qu’elle cédait. Ma conviction fut violente, irrésistible. Et, au sortir de la ville, je l’attendis.

Et elle vint en effet, elle vint en courant, toute rose, tout essoufflée.

Il n’y eut pas un mot d’échangé, et ce silence est peut-être l’impression la plus formidable d’entente parfaite et d’harmonie immédiate que j’aie jamais connue auprès d’un de mes semblables. C’était, de sa part, l’abandon suprême, un acte de foi, et de la mienne un aveu de respect et de gratitude.

Ce que fut cette promenade divine, je ne tenterai pas de le dire. Ce que je vis, ce que j’éprouvai, je n’en sais rien d’ailleurs, tellement il me parut que je vivais dans un monde surnaturel. C’est comme un grand souvenir confus de lumière et d’espace, comme un effort immense que je faisais pour m’emplir de ces mêmes choses qui devaient, en même temps que moi, la pénétrer d’émotion et d’ivresse sacrée.

Une heure après, nous revenions à l’endroit où je l’avais retrouvée. Était-ce la séparation définitive ? Cette idée me déchira. Je lui dis :

— Demain ?

— Non.

— Alors, quel jour ?

Avec un triste sourire, elle murmura :

— Jamais, sans doute.

Je tressaillis et insistai :

— Demain, il le faut.